Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/539

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XIe Lettre de Malaisie
Vulcain.

En bruissant avec violence, les ailes de l’aéronef nous ont enlevés hier. La ville se rétrécit. Les champs perdirent leurs couleurs. Les routes se réduisirent. La terre sembla tomber dans les abîmes lumineux du monde ; et les nuages nous enveloppèrent un temps.

On s’habitue mal au tumulte de l’air où se visse l’hélice, et que battent les ailes mécaniques. La parole humaine ne s’entend pas. Nous portons des maillots épais qui ne laissent pas de prise au vent. Il faut marcher en se tenant aux tringles et aux cordes. Au-dessus de nous la voilure qui règle la marche, s’enfle et courbe la nef sur son axe de direction. Placée à l’arrière une misaine énorme fait l’office de gouvernail, appuie sur les souffles. C’est la queue de l’oiseau artificiel nous emportant à travers le brouillard tiède. La mâture crie. Le volant tourne si vite qu’on perçoit à peine un grand halo de lueur grise à la poupe. Enfermées dans une cabine de toile, les machines mystérieuses et les accumulateurs de force palpitent de leurs bruits huilés. De lents tic-tac gouttent. Mais il demeure interdit d’approcher afin de connaître le miracle. Pythie disait : « — Nous possédons en lui la puissance de changer l’organisme des peuples. Quand s’achèvera la fabrication de nos escadres aériennes, lorsque le nombre des bâtiments nécessaires sera construit, alors nous nous élèverons sur le Vieux Monde en un vol dense, telles ces armées d’archanges titaniques aux ailes sombres qu’annoncèrent les Écritures. Notre force formidable ira du Sud au Nord. Elle planera. Elle illuminera la nuit d’astres nouveaux. Elle sillonnera le jour de ses pavillons et de ses banderoles. Son essor aigu coupera l’espace, par dessus les foules épouvantées et le tocsin des villes. Aux tirs des canons, aux feux des armées réunies par les maîtres de l’injustice répondront les chutes éclairantes de nos torpilles et les explosions formidables capables d’anéantir les Babylones. Après, nous débarquerons les charrues et les semoirs. Les limites seront nivelées, les bornes renversées ; la moisson couvrira toute la terre pour la faim de toutes les bouches. Nous cernerons la mort, la détresse et le désespoir dans leurs retranchements suprêmes…

« Or il ne faut pas que l’on découvre le mystère de notre force avant l’heure de sa bienfaisance. Supportez la règle qui prescrit de ne pas l’approfondir. Écoutez à distance la vie paisible de la machine. Savez-vous ceci ? le groupe qui inventa le miracle accepta de se sacrifier pour le sort du monde. Dix-neuf, ils sont partis vers la montagne avec le secret.

« Dans une gorge affreuse, séparés des hommes, ils vivent au milieu des forges, et hâtent le travail des Malais, des soldats. Vous allez connaître la ville de Vulcain, les incendies de ses hauts-four-