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Xe Lettre de Malaisie
Mercure, Palais des Dômes astronomiques.

Les villes les plus récentes de la dictature sont, comme celle-ci, semées au milieu de forêts. Autour des édifices chuchotent des eaux vives. Les cygnes nagent à l’ombre. Sur une patte, les ibis roses méditent. Les tramways électriques portent à la proue des figures gracieuses et sculptées qui tiennent le fanal dans leurs mains. Il en saillissait de pareilles aux proues des nefs antiques. Sur les routes couvertes par les dômes de verdure que fournissent les frondaisons des arbres tropicaux, il court des automobiles offrant la forme atténuée d’hippogriffes. Les ailes à demi décloses enferment la capote, tandis que le cou rengorgé du monstre, son poitrail qui se bombe, terminent de façon heureuse le train antérieur. Couronnant la tête de l’hippogriffe, six fleurons sont des ampoules électriques ; et, la nuit venue, on voit glisser, vertigineuses, ces belles bêtes de sombre bois laqué, à couronnes de lumière.

Nous avons longé dans une de ces voitures la digue de maçonnerie qui soutient et qui élève le monstrueux télescope, de trois kilomètres, et gros à proportion ; nous avons contourné les lacs de réactifs où les savants étudient la guerre des substances ; nous avons circulé, des heures, entre les dômes de verre où, le vide ayant été fait, les courants odiques et les fluides les plus subtils ondulent, planent, vivent, révélés par des moirures diaphanes, et, quelquefois, par un bref éclair bleu ; nous avons escaladé par des sentes de cristal la colline d’aimant magnétique qui darde, certains soirs, une gerbe immense d’essence verte vers laquelle, accourent, à travers l’espace, d’innombrables gouttes de lueurs fauves, vertes, bleues, vers laquelle zigzague la foudre continûment.

C’est ici la région des miracles scientifiques. Dès que le soleil se couche, les gens s’illuminent, à cause d’une préparation phosphorée qui tient leurs vêtements. Alors l’éclat des promeneurs éclaire les chemins d’une sorte douce et charmante. L’ombre s’emplit de fantômes brillants qui parlent, glissent deux à deux, trois à trois. Les orgues cachées chantent. On s’aperçoit d’une parenté bien plus proche avec les êtres hypothétiques habitant les myriades de planètes en suspension dans les profondeurs.

En vérité l’enthousiasme m’a conquis cette fois. Comment dirai-je le secret du bonheur ressenti ? Cela tient-il aux propos des savantes et des savants qui exposent avec des voix mystiques la composition des mondes ? Cela vient-il de l’air imprégné par de suaves effluves ; ou des figures embellies par une adoration loyale envers l’Harmonie des Forces que tous nomment Dieu ? Ici nulle peine n’est lue en