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des officiers en observation. Je suis restée dix-sept jours sans aller à la selle.

On me transféra à Versailles. Là on était bien mieux. Chacune avait une botte de paille. On se fit des paillasses. Le jour nous mettions deux ou trois paillasses l’une sur l’autre, en canapé. Louise Michel et moi, nous écrivions les lettres des unes et des autres. Toutes ces femmes auraient fait n’importe quoi pour une approbation de Louise Michel.
MADAME LEROY
On nous distribuait du bois, mais pas coupé ; du riz, mais nous n’avions ni sel, ni beurre, ni casserole. Nous dire : mangez — c’était une ironie. Peu à peu des marchandes des quatre saisons parvinrent à instituer une vague cuisine.

Il y avait au-dessus de nous cent cinquante gamins, presque tous des marchands de journaux. Pendant la nuit ils criaient des titres de journaux révolutionnaires à la grande indignation des gardiens. Ces gamins étaient maintenant en loques. Quand leur derrière fut par trop évident, il y eut une distribution de vieilles culottes de gendarmes. Le petit Ranvier âgé de douze ans, fils du membre de la Commune, refusa cette défroque guerrière.

Louise Michel avait été transférée dans une autre prison, avenue de Versailles n° 20. J’étais restée à la prison du Chantier, sise près de la gare. Nous nous écrivions pour nous donner des nouvelles les unes des autres, lettres soumises au visa administratif naturellement.

— Avez-vous gardé de ces lettres ?

— En voici quelques-unes, mais elles n’ont pas d’intérêt.

Ces lettres nous les reproduisons ci-après les jugeant caractéristiques.

7 juillet
Ma bonne amie,

Je me trouve assez embarrassée. Mme Montet la mère est malade, nous avons promis à sa fille de veiller sur elle, je dois donc la prévenir. Mais faites-le de manière à ne pas lui faire croire le mal plus grand qu’il n’est, c’est le chagrin de la séparation.

S’il arrive quelqu’un ou quelque paquet pour moi envoyez-les ici, vous me ferez en même temps passer une bouteille, la petite, le litre est cassé.

Dites-moi comment vous vous trouvez, et ne laissez pas l’ennui vous gagner… Avez-vous écrit à maman ? surtout dites-lui tout ce qui peut la consoler.

Mme David a-t-elle reçu enfin son paquet ?

Faites-vous toutes les lettres de ces dames et donnez-vous du papier pour celles des enfants ?

Je suis fort ennuyée de penser que vous êtes restée sans argent. Dites-moi si votre mère est revenue.

Embrassez pour moi toutes nos amies et dites à celles qui pensent à moi combien je désire la fin de leurs ennuis.

Bien des choses à Marie Drée, à ces dames qui venaient près de nous, je serre la main à tout le monde.

Louise Michel

Tâchez qu’on n’oublie pas la folle.