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le brassard de la Croix de Genève. « Pourquoi avez-vous ce brassard ? — Je suis médecin, répondis-je, c’est pourquoi j’ai ce brassard de la Société internationale des blessés que préside M. le comte de Flavigny. J’étais déjà médecin pendant le siège… — Et médecin de qui êtes-vous maintenant ? Quels blessés soignez-vous ?

— Mais, tous, repris-je, un peu embarrassé. J’ai soigné tout le monde pendant la bataille, les soldats de l’armée et ceux de la Commune. — Vous n’êtes point médecin de l’armée ? — Non… mais… — Vous êtes resté à Paris sous la Commune ? — Oui. » Le grand prévôt se pencha à l’oreille de l’assesseur, puis, s’adressant aux agents : « Conduisez-moi cet homme à la queue. »

— Et la queue qu’est-ce que c’était ?

— Voici. Je sortis escorté de deux agents à brassards tricolores.
VINOY
Je me trouvais dans la petite cour du Sénat. Nous tournâmes à gauche et un spectacle inoubliable m’apparut brusquement. Pressés entre un long mur et la limite des bosquets, une masse d’hommes qu’entouraient des soldats. À mon arrivée, les rangs s’ouvrirent et se refermèrent. C’était là ce que le grand prévôt appelait la queue. De moment en moment un peloton de lignards arrivait et emmenait les six premiers. On entendait alors des détonations. Des centaines, des centaines et des centaines de pauvres diables étaient ainsi exécutés. Il y a des monceaux de cadavres sous les deux grandes pelouses, et probablement le corps de Raoul Rigault.

— Pourtant vous êtes ici…

— Grâce à l’entregent d’un sergent de la ligne, qui était étudiant en médecine, — l’esprit de corps !

— Mais vous n’étiez pas médecin ?

— Pas le moins du monde. J’étais rédacteur au Père Duchêne avec Alphonse Humbert et Vermersch, et je m’étais battu à la barricade de la rue Monge. Mais j’aurais été médecin pour tout de bon, ou même partisan de Versailles, que ça se serait passé de la même façon, sauf que j’aurais peut-être été fusillé.

Madame N***

Mon mari était le commandant du 22e bataillon de la garde nationale. J’étais toute jeune, alors, et habitais l’île Saint-Louis. Je ne me rendais compte que très vaguement de ce qui se passait dans Paris. Notre île était relativement calme. Les Versaillais l’avaient isolée. Le mercredi ou le jeudi de la dernière semaine, j’entends un brouhaha et, dans l’escalier, une voix irritée disait : « Il y a un commandant dans la maison. » J’étais en train de faire du café. J’ouvre, mon filtre à la main. Des chasseurs de Vincennes étaient