Les questions auxquelles vous demandez une réponse comportent d’assez longs développements que malheureusement je ne suis pas en mesure de vous fournir, faute de temps d’abord, et ensuite parce que, menant une vie très retirée et étant resté vingt-cinq ans hors de France, je n’ai jamais songé à coordonner mes souvenirs ni à analyser mes impressions.
Du 18 mars 1871 à la fin de mai, j’ai été harassé de besogne. Pendant une semaine, comme maire-adjoint du xiiie seul chargé de l’administration de mon arrondissement, j’ai eu à prendre part aux nombreuses réunions de mes collègues à la mairie du iie arrondissement, rue de la Banque. Puis à la Commune, j’ai peu à peu cumulé les fonctions de membre de la Commission de justice, membre de la Commission des relations extérieures, Président de la Cour de Révision des arrêts de la Cour Martiale, questeur de la Commune, membre du 1er Comité de Salut public, Gouverneur du fort de Bicêtre, Commissaire civil délégué à l’armée du Sud, gardant en même temps l’administration de mon arrondissement à laquelle mes collègues ne prenaient aucune part.
Vous comprendrez facilement que tout grouille encore dans ma tête. Cependant, pour coopérer dans la mesure du possible à la rapide publication de votre enquête, je me hasarde à vous envoyer les quelques réflexions qui me reviennent plus spécialement à l’esprit.
Je considère la révolution du 18 mars 1871 comme une manifestation toute spontanée de l’instinct populaire. C’est la poussée irréfléchie d’un peuple qui se sent trahi et menacé, mais dont la marche en avant, au lieu d’être basée sur l’analyse de ses souffrances et la conscience de ses besoins, n’a d’autre guide que les abstractions de souvenirs historiques et de vagues aspirations idéales. C’est assez pour combattre et mourir héroïquement, ce n’est pas assez pour triompher et vivre. Toutes nos fautes se résument dans ces trois mots : « Ne pas savoir », avec leur corollaire obligé : « Ne pas oser ».
C’est parce que le Comité central ne savait pas, que, dès son entrée à l’Hôtel de Ville, il n’a eu d’autre préoccupation que d’en sortir, et qu’il n’a pas osé tenter — (chose très possible à ce moment ) — de s’emparer révolutionnairement de Paris, et de mettre la main sur Versailles avant que Thiers eût assemblé son armée. Une révolution qui commence par parlementer pendant dix jours est condamnée à mort, et la Commune ne pouvait être qu’une Chambre d’enregistrement de la défaite du peuple.
C’est au même défaut initial qu’il faut attribuer les hésitations et