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où nous essayons de dormir sur des dalles, jusqu’à 6 heures du matin. C’est alors qu’on nous dirige vers Châtillon, les os rompus par ce premier bivouac et sans nourriture aucune. Pendant la marche, notre petite bande se fond encore et, partis 600 la veille, nous arrivons 50 sur le plateau, une demi-heure avant que les troupes versaillaises, feignant de passer en armes à la cause de la Révolution, se fassent aider à l’escalade des remparts, aux cris répétés de « Nous sommes frères ! embrassons-nous, vive la République ! » Nous étions prisonniers, et tous ceux que l’on reconnaissait à leur uniforme ou à leur allure comme ayant été soldats, tombèrent fusillés, près de la clôture d’un château voisin.

D’après une lithographie d’Edouard Manet

D’après ce que mes compagnons m’ont raconté, j’ai lieu de croire qu’en d’autres faits de guerre nos chefs empanachés, du moins ceux qui commandèrent les premières sorties, firent preuve de la même inintelligence et de la même incurie. Peut-être le Gouvernement de la Commune eut-il plus de capacité en d’autres matières ; en tout cas, l’histoire dira que ces ministres improvisés restèrent honnêtes en exerçant le pouvoir. Mais nous leur demandions autre chose : d’avoir le bon sens et la volonté que comportait la situation et d’agir en conséquence. N’est-ce pas avec une véritable stupeur qu’on les vit continuer tous les errements des gouvernants officiels : garder tout le fonctionnarisme, en changeant simplement les hommes, maintenir toute la bureaucratie, laisser tous les gens d’octroi fonctionner dans leurs guérites et protéger chaque jour le convoi d’argent que la Banque expédiait à Versailles. Le vertige du