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éclater une douzaine de caissons d’artillerie. Et certainement, démoralisés comme ils étaient, les envahisseurs se seraient hâtés de rejoindre le gros des troupes qui était encore derrière les portes. Mais à notre retour à la guerre, à 8 heures 1/2, il n’y avait pas cent hommes de réunis. Delescluze à moitié mort mâchonnait son éternel bout de cigare ; il regarde ses officiers : « Quelle infamie ! trahi par tous ! » tombe dans son fauteuil, se relève. Silence morne « Faites donc comme moi, mangez un peu. » Son dîner était servi à côté de lui. Debout nous mangeâmes un morceau de mouton froid. Au petit jour l’envahissement commença. On ne pouvait plus sauver ni l’école militaire ni le Champ de Mars. Le lundi 22, le découragement fut immense ; le 23, Paris s’était ressaisi et la résistance commença sérieusement. Je voyais encore la victoire possible. Plusieurs fois, avant et après l’entrée des Versaillais, la victoire tint à un rien. Le 24, on a commis la faute de laisser mettre le feu à l’Hôtel de Ville. À ce sujet, beaucoup ont regretté d’y avoir laissé Pindy comme gouverneur.

— Cet incendie était-il utile à la défense ?

— Ce fut une faute immense qui fit gagner au moins deux jours à Versailles. La place de l’Hôtel de Ville et celle du Ve arrondissement, reliées avec le XIIIe arrondissement et une partie des forts du Sud, constituaient une place forte imprenable. Les Versaillais n’avançaient plus. Du fait de l’incendie, nous perdons le ive, le ve avec le Panthéon, le xiiie et toute la ligne des forts du Sud (forts de Montrouge et de Vanves, le Moulin-Saquet, les Hautes-Bruyères) avec 120 pièces de canon et 10 000 fédérés habitués à la lutte. Puis ce fut le recul sur le xie, puis la concentration de la résistance dans Belleville, l’envahissement du xxe, enfin le lundi matin 29 mai, la reddition du fort de Vincennes. J’insiste sur ceci que les défenseurs de la Commune, chefs et soldats, ont en général fait tout leur devoir
TRANQUILLE HUET, FÉDÉRÉ
soit hors des murs soit dans la rue. Je considère que ce fut non une émeute ou une insurrection, mais une révolution, et qu’elle a sauvé la République.

— Ne croyez-vous pas que la Commune se soit montrée trop timorée en matière financière et notamment à l’égard de la Banque ?

— On était tellement pris, tellement occupé ! On n’y a pas attaché assez d’importance. Nous avons occupé la Banque ; mais, à la vérité, nous ne nous en sommes pas servi comme le parti révolutionnaire d’aujourd’hui le ferait. Mais il était dans l’esprit de nous tous de montrer l’exemple