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du christianisme des origines, la Vie sociale menacée répond par un schisme : le protestantisme ressaisit comme en un étau les consciences et les ramène à la pratique des vertus utiles. Pour qui entreprendrait une étude du rôle social des religions, l’importance du protestantisme à notre époque est considérable ; car les races auxquelles incombe la mission de continuer la Vie sont groupées sous sa loi. Il sait exactement selon quelles doses le désintéressement religieux doit être administré pour le faire tourner au plus grand profit des intérêts. Il est devenu à ce titre la religion sociale par excellence ; c’est à lui qu’il appartient de développer, sur le thème du progrès, l’intrigue banale du combat pour la vie matérielle et le confort. Cette forme du mensonge vital comporte des recommencements sans fin ; telle, — ainsi qu’un mauvais feuilleton, — la vie américaine.

Religions biologiques.

C’est à ces religions sociales que s’appliquèrent les développements consacrés précédemment à la forme religieuse du Mensonge vital. Bien que le mot religion soit le plus communément employé dans ce sens, bien qu’il implique par son étymologie qu’il a pour action de relier les hommes entre eux, il n’aura d’emploi ici que dans son sens biologique, seul réel et profond ; car toute religion sociale n’est qu’un compromis entre le renoncement religieux et la folie vitale au profit de celle-ci.

En nommant biologiques ces religions que je distingue parmi les autres, j’entends par là signifier qu’elles sont fonctions de la Vie elle-même et non plus de la Vie sociale qui n’est qu’une phase particulière de la Vie. En ce sens, la Religion n’est pas un lien ; elle est un lieu de refuge ; elle est l’attitude prise par la Vie en tout individu qui a épuisé son pouvoir d’évoluer, c’est-à-dire en tout individu qui, abandonné par la Folie, au sens d’Érasme, a perdu la faculté de substituer, à un mensonge vital évanoui, un nouveau Mensonge.

Aussi le phénomène religieux trouve-t-il son emploi à chacun des tournants de l’évolution.

a. Les religions de l’acte.

La vie humaine nous a conservé un état complet des phases de son évolution, et, bien que ces modalités diverses demeurent encore exposées sous nos yeux et semblent ainsi coexister sur un même plan de la durée, il est possible de fixer, d’après leur degré de complexité, quel fut l’ordre de leur succession. Muni de ce critérium, on voit poindre tout d’abord dans les bas fonds des origines la vie instinctive, et, c’est le règne du besoin, qui est en cette phase rudimentaire, le ressort unique de l’acte. Parmi ce paysage premier, Caliban déjà s’ingénie, ayant pour aiguillon la faim, pour idéal manger. L’amour même n’est pas né, l’acte générateur n’étant tout d’abord qu’un accident de la digestion. Pourtant sur ces frustes mobiles, toute la civilisation matérielle peut recevoir son développement. Car