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La religion intellectuelle
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VI
FEUILLETON PHILOSOPHIQUE[1]
La religion intellectuelle

Au début de cette introduction à la Vie intellectuelle, l’Intellectualisme a été dénoncé l’état religieux par excellence. Ceci vaut d’être expliqué et il faut dire tout d’abord ce qu’on entend par religion.

La religion, au sens où l’on emploie ici ce mot, est l’attitude adoptée par la Vie pour se renier et s’abolir. Elle ne doit être confondue avec la morale. La morale enseigne comment on se comporte dans la vie ; la religion, comment on s’en libère.

Religions sociales.

C’est dire qu’il ne sera question ici des religions sociales que pour les écarter. Car celles-ci sont, au contraire de la nôtre, une attitude adoptée par les sociétés pour durer ; leur but est de conservation ; elles maintiennent et perpétuent telles modalités de la Vie, arrêtent et fixent l’évolution en une de ses phases, cimentent les contrats formés entre des groupes d’hommes pour en assurer l’exécution. Elles ne sont en réalité que des morales qu’illustrent des mythologies.

Impuissantes à produire elles-mêmes le principe religieux qui les soutient, elles le tirent des religions d’absolu renoncement. Mais elles ne leur empruntent qu’une parcelle de leur poison mortel et ce principe de mort, dilué dans l’économie de ces corps organiques que sont les sociétés, devient pour celles-ci, germe de vie. L’exemple du christianisme est près de nous pour nous faire sentir le mode de cette action. Religion véritable à son origine, issu d’un pessimisme définitif, il fut avec son fondateur une posture de renoncement, enseigna comment on échappe à la Vie en la niant. Or, toute la civilisation de l’Occident s’est emparée de cette doctrine d’agonie et, se l’inoculant, en a tiré sa vitalité. Les préceptes de détachement qu’elle a puisés à la source chrétienne n’ont agi que pour atténuer la personnalité trop forte de ces races vives. Celles-ci n’admirent du principe altruiste que ce qui était indispensable pour concilier les égoïsmes individuels, pour leur permettre de s’organiser et de durer. Ainsi, cette doctrine chrétienne qui, dans sa pureté, ne supporte aucune des conditions de la vie, qui n’accepte pas l’inégalité des êtres, qui prohibe l’acquisition et répudie la possession des richesses, transformée en religion d’État, fonde les hiérarchies et devient le soutien de la suprême vertu sociale, le respect de la propriété. Lorsque le catholicisme donne naissance au mysticisme de l’Imitation, résurrection

  1. Voir La revue blanche des 1er décembre 1895, 15 janvier, 15 mars, 1ermai et 1er août 1896.