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Goethe et Wagner vinrent en Italie, ne reçurent-ils pas d’elle une influence féconde ?)

Voilà pour l’inspiration et la forme. Quant aux idées, il est certain qu’elles nous reviennent du Nord plus qu’elles n’en viennent. Il faudrait être bien ignorant de notre xvine siècle français pour ne pas voir quels ont été les éducateurs d’un Tolstoï, d’un Dostoïewski. Retour d’idées profitable cependant, puisque beaucoup d’écrivains français s’en étaient fort désaccoutumés. La plus grande surprise fut l’individualisme d’Ibsen. Ses personnages qui vont droitement jusqu’au bout de leur pensée, sans sacrifices à la morale sociale, nous ont charmés. Mais bien vite un poncif ibsénien s’est créé. Et ne sommes-nous pas un peu excédés par tous ces êtres qui maintenant, dans notre littérature française, à l’instar de la Scandinave, s’en vont, raides comme barres, à leurs fins.

J’ajoute que, si l’on jette un coup d’œil d’ensemble sur toutes ces littératures, au Nord comme au Midi, on voit qu’elles s’accordent et se complètent, que la pensée humaine a suivi son évolution logique. L’Antiquité et la Renaissance exaltent la vie et l’homme. Tolstoï, après les encyclopédistes, mais avec une émotion plus pénétrante, conseille la pitié, la justice. Ibsen prêche l’individualisme. C’est peut-être chez nous que surgira l’écrivain de la phase prochaine qui montrera que l’individualisme largement entendu s’accommode fort bien de justice, de pitié, de bonté... Et, sans tant raisonner, écrivons les choses comme elles nous arriventi. .

Georges Lecomte

XIII

A votre première question.

Je réponds Non !

C’est donc couper court à la seconde.

Lugné Poe


XIV

Une enquête telle qu’on ne peut s’en tirer par une pirouette ou un jeté-battu : je mettrai les pieds dans le plat. Laissons toutes littératures étrangères — notre romantisme et vingt ans récents de vers paraîtraient en jeu — autres que celle Scandinave, à quoi je retiens l’allusion. Mon sens est que ce Nord influença jusqu’ici les chevelures, quelques fronts et des yeux, comme montre une salle de théâtre ; mais, il faut à ces signes extérieurs intimes une durée considérable, la génération voire plusieurs, pour se transposer au livre, objet, d’abord, fermé. Le poète puise en son individualité, secrète et antérieure, plus que dans les circonstances même exaltant celle-ci, admirables, issues du loin ou simplement de dehors.


Stéphane Mallarmé