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VIme lettre de Malaisie
Mars.
Fort des Quatre-Têtes.

Après que le train eût franchi des contrées indéfinies, lugubrement vêtues de forêts denses, après qu’il se fût engouffré aux gorges de montagnes violâtres, il ressortit le lendemain matin dans un pays de lacs. Sur l’étang des eaux vastes, bien des petites îles se mirèrent en bouquets. Des nefs glissaient entre deux sillages, sans fumée, sans bruit, sans mots, rapidement. Nous courions par une chaussée médiane où aboutissent les eaux. Peu à peu cette chaussée s’élargit. Les fleurs des tropiques envahissent le ballast, bientôt défendu au moyen d’un treillage contre les plantes épineuses et les arbustes de la brousse. Et puis toute une campagne se développe. Presque entièrement les hautes verreries des serres agricoles la recouvrent. Peints de couleurs épaisses les vitrages garantissent les céréales, les fruits et les légumes contre la brûlure du soleil. Selon la nature des végétaux, ces couleurs sont diverses. Toute une longue explication de Théa m’instruisit sur cette sorte de médication par les lumières nuancées.

Beaucoup de serres étaient ouvertes. Nous aperçûmes des charrues automobiles qui labouraient, toutes seules ; ailleurs des semoirs qui répandaient le grain ; en un troisième lieu des rouleaux qui aplatissaient une terre blanchâtre, gorgée de fumures artificielles. Ici les saisons ne collaborent pas. La mécanique et la chimie remplacent le soin de la nature, avec une activité autrement multiple.

Les serres agricoles sont gigantesques. Elles recouvrent des étendues. La galerie des machines, de Paris, donne assez la mesure des moindres. Sous les édifices de verre, les dynamos mettent en mouvement les appareils. Peu d’hommes dirigent. Il y a des vignobles portant des grappes de Terre Promise ; des blés dont les épis trop lourds exigent des étais ; des tiges de riz hautes de trois mètres. Mais les pommes de terre restent minuscules, parce que leur saveur s’accommode mieux de cette taille. Grosses comme des noix, elles valent, rissolées et croustillantes, une joie délicieuse pour la bouche. De même les fraises lilliputiennes enthousiasment le palais ; tandis que la monstruosité savoureuse des ananas et des poires rend l’âme béate pour des heures.

— Oui, déclara Pythie, nos estomacs deviennent les plus choyés du monde. Comme il n’est pas nécessaire de vendre bon marché aux pauvres des produits inférieurs, nos groupes agraires éliminent de la