Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/563

Cette page a été validée par deux contributeurs.

embrasse l’autre ; et commence une autre phase du ballet, où les corps s’étreignent, se roulent, où la passion s’assouvit dans les postures. D’autres faunes se ruent. La priapée folle se noue, pleine de mots gais, de réparties savantes et fines. Ces nymphes et ces faunes connaissent la raison du monde. Ils prévoient l’effort ridicule des peuples qui leur succéderont sur la terre d’Hellé. De leurs amours les hommes vont naître qui abandonneront la joie de la nature pour dominer ou servir… Le deuxième acte montra un cirque de rochers, l’homme fauve, le chef de horde, qui rentre avec ses prisonniers, des faibles : adolescents, femmes, vieillards. Avec sa hache sanglante, il oblige les vieillards à réparer ses armes, les femmes à satisfaire sa luxure, les adolescents à bâtir pour lui. Il fonde la famille en tuant qui résiste ; et, quand il part, ayant retiré l’arbre qui sert de pont pour franchir l’abîme, un magnifique chœur de lamentations s’éplore.

Le troisième acte montre le repaire du héros, vers le sommet d’une colline que les serfs labourent, en haillons. Vêtu de son armure, le faune, l’homme, est assis sous le chêne de justice, et s’appuie sur son glaive. À genoux, le vaincu lui fait hommage, et, pour sceller la paix, donne en épousailles sa fille, de l’or, des chevaux, des châsses d’argent, des armes, dot et butin. Esclave, la femme ment et trompe. Le serf pèche avec la châtelaine.

Aux actes suivants, tous les avatars de l’amour sont représentés, d’époques en époques, de race en race. Œdipe erre. Othello étrangle Desdémone. Roméo et Juliette se chérissent. Antony poignarde. Armé de la religion et de la loi, le mari remplace le chef de horde, l’homme faune, et sans moins de férocité.

Ainsi le spectacle se poursuit, traversant la série des siècles. Les scènes d’amour y sont mimées chaque fois jusqu’à la réalité la plus humble du dénouement ; et cela finit par le retour du faune et de son cortège de nymphes. Il reprend sa flûte. Il rappelle les cris entendus dans les affres de la passion éternelle. Il dit les actes du monde s’enroulant et se déroulant autour du Phallos divin, et le ballet recommence, que complètent des tableaux vivants d’un érotisme féerique.

D’autres pièces que j’ai vues résument ainsi la passion à travers les âges. Cela justifie des décors merveilleux et divers, d’acte en acte, des façons multiples de dialogue, des études de mœurs hétérogènes. Un drame se passant, comme chez nous, selon les unités de temps et de lieu ne plairait pas. L’esprit bien plus synthétique de la foule aime cette négation du temps, et cette recherche de la transformation d’une idée, d’un instinct au cours des sociétés successives. Cela contient de la féerie, du drame lyrique, de la comédie sentimentale, de la farce, des priapées et de somptueuses danses.

Ce fut après l’un de ces spectacles que je constatai la force de mon inclination à l’égard de Pythie. Comme la foule remuait, se regardait, se saluait à l’éclat des mille fleurs électriques tout à coup en incendie sur les arbres de fer qui forment la végétation fabuleuse des colonnes, un homme s’approcha d’elle, le