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— Jamais. Il y a une autre ville : Vénus. Il s’y passe des cérémonies semblables, pour celles qui sortent du Palais des Mères, après le sevrage de leur petit. Sans doute vous assisterez à l’une de ces Fêtes de la Reproduction… Auparavant, nous aurons la grande fête de la Locomotion, au Temple du Fer, dans la ville qu’on nomme Vulcain. Elle marque tous les printemps, à l’anniversaire du jour où, pour la première fois, les nefs aériennes purent se soutenir dans la transparence de l’espace. Une semaine après, c’est la fête de la Nutrition, la fête de la Terre, un peu avant la saison des pluies. Ces trois grandes fêtes marquent, pour notre calendrier, la fin du travail annuel ; à l’époque de votre solstice d’Hiver.

— Mais, repris-je, excité par la description des fêtes de Diane, en dehors des cérémonies amoureuses dont vous me parlez le goût des choses passionnelles ne séduit-il pas les âmes ?

— Le goût de ce passe-temps a perdu bien de son prestige si vous le considérez avec vos illusions d’Europe. Ici une femme ne refuse pas plus à un homme sa chair, que chez vous elle ne refuse de rendre un salut. C’est une politesse que nous octroyons bien gracieusement, et sans y attacher d’autre importance.

— Mais si un vieillard vous sollicite, ou un homme déplaisant ?

— D’abord les vieillards vivent dans les Presbytères, pour la plupart. On y entre dès l’âge de cinquante-cinq ans. Les difformes ne fréquentent pas au milieu des beaux ni des sains. Ils habitent certains lieux voués à leur détresse. Donc nous ne rencontrons que des personnages de figure et de taille admissibles. Et puis, pour accomplir cette fonction toute simple, nous n’avons pas besoin de tant de choix ou d’ambages. Rien dans les lois ni dans les habitudes ne contrarie l’exercice d’un instinct utile à l’expansion de la race. On se reproduit quand on a l’envie, et avec qui vous le propose, comme on mange en face du passant, au réfectoire du train, ou l’on se promène dans la voiture d’un mécanicien quelconque.

— Et l’idéal ! fis-je.

Mes deux compagnes sourirent.

Je les considérai. Brunes, évidemment empreintes du sang de Malaisie, elles avaient des yeux languides, sous de grands cils, et des paupières mates, des attaches fines. Leur nez légèrement aplati ne déparait point le sens triste du visage barré de bouches soigneuses. Aux plis des vestes de soie, leurs gorges libres ne disparaissaient pas tant qu’on ne les devinât solides et pleines. Elles avaient aussi des hanches larges sous les vastes basques de l’habit, et, dans les guêtres, de sveltes mollets, des pieds pointus. La plus loquace des deux se nommait Théa, et l’autre, qui jusqu’alors n’avait rien dit que par sourires, s’appelait Pythie. Bien qu’elle fût plus jeune, trois médailles indiquaient le nombre de ses enfants. Je la complimentai sur la grâce de sa taille, après plusieurs couches.

— C’est aux doctoresses, répondit-elle, de recevoir ces flatteries. L’art de l’obstétrique est parvenu à une haute perfection ; car les plus grandes récompenses sont réservées à ceux et