géniture remuante, ni malades toussoteux et hâves. Comme je m’en étonnai, les viriles compagnes me renseignèrent.
Elles dirent que les premiers efforts de Jérôme le Fondateur, visèrent l’installation des gymnases. À peine eût-il refoulé les tribus malaises et découvert sur le Haut-Plateau les espaces fertiles, sains, à peine les eût-il protégés d’un circuit de forts, qu’il fit construire sur les bords de la rivière Coti, neuf grands édifices de bois : la Maternité, la Nursery, l’École, le Collège, le Lycée, l’Université, le Presbytère, l’Hôpital.
Séparés par des distances de trente kilomètres environ, ces bâtiments reçurent aussitôt leurs pensionnaires.
Chaque femme reconnue enceinte fut conduite à la Maternité. Des soins de toutes sortes la comblèrent. On lui réserva les meilleurs gibiers des chasses, les plus belles étoffes, les sièges les plus commodes, tous les honneurs. Rien de cela n’a disparu des mœurs depuis cinquante ans. La mère reste par dessus tous, le personnage sacré. À la place des primitives bâtisses en bois, d’admirables palais s’élèvent, remplis de statues, de tableaux. Elle y vit, dispensée de travail pendant la période entière de la grossesse, celle de l’allaitement, et de la première éducation du bébé. Pour elle des cuisiniers chinois d’une science considérable préparent les festins exquis ; des chœurs de jeunes filles chantent, et font de la musique ; les meilleures troupes d’acteurs représentent les chefs-d’œuvre des littératures connues ; des jardiniers complètent de merveilleux parterres, les allées de parcs infinis.
— C’est, me dit la compagne, une année de triomphe royal. On n’accorde rien de pareil à nos inventeurs ni à nos médecins, qui sont cependant honorés à l’instar des empereurs historiques. Jérôme le Fondateur a jugé que rien n’est plus beau que produire un être pensant. Vous verrez sans doute défiler les cortèges de matrones dans leurs litières faites d’ivoire et d’argent. La loi oblige à se prosterner devant elles. Nos héros, nos inventeurs, nos docteurs, se vautrent dans la boue à leur passage, tandis qu’un sénéchal ou le dictateur lui-même ne sont pas salués de la foule qui s’affirme leur égale.
— Avez-vous déjà joui de ces honneurs, demandai-je.
— Deux fois, répondit-elle ; à quatorze ans et demi et à vingt ans. Voyez, pour cela, je porte à la boutonnière deux plaques d’or.
— Et vos enfants ?
— J’eus de leurs nouvelles il y a dix jours. L’aînée qui compte aujourd’hui treize ans finit ses études chorégraphiques. On m’a montré de sa peinture. Elle collabore au grand tableau qui ornera le Temple du Fer. Ce tableau représente le triomphe de nos nefs aériennes, le jour où elles purent enfin prendre essor, après quinze années de tentatives infructueuses. En ce moment ma fille doit être dans la campagne pour les semailles d’automne. Le labeur physique lui fait grand bien. L’an dernier, après le sarclage des betteraves, elle s’est vue définitivement débarrassée de ses migraines… Je compte bien que les docteurs la jugeront assez forte pour être transférée dans la ville de Diane, l’an prochain. Car il vaut mieux appro-