travailleur ayant quitté le pays ou y ayant été mis dans l’impossibilité de fonctionner, la vie commerciale, industrielle et agricole ayant complètement cessé, c’est la famine pour tout le monde, Turcs et Arméniens, et c’est la faillite pour le gouvernement. Le Trésor est déjà vide ; la fuite à Athènes du ministre de la Liste civile, qui n’est d’autre que l’Arménien Mikaël-Pacha, prouve la débâcle finale des finances du sultan. Il y a eu déjà de petits soulèvements de soldats enragés par la faim. En Crète, on les a vus demander l’aumône aux étrangers. Le gouvernement recourt au moyen cynique de mettre en prison et de voler officiellement les notables Arméniens pour trouver les quelques derniers sous, dont il a besoin. Le coup de la Banque ottomane, que d’aucuns traitèrent de criminelle imprudence, mais dont tous reconnaissent la rare audace, a servi toujours à démontrer l’extrême impuissance de la police turque, la décomposition définitive du gouvernement ottoman, et l’absolue nécessité d’une réorganisation européenne pour rendre le pays habitable à tous, Européens, Turcs et Arméniens.
Depuis un an, c’était la mort qui régnait dans les provinces de l’Empire ; maintenant, il n’y a plus d’air respirable, même à Constantinople. Humide de sang, en mal de troubles, l’atmosphère alourdie d’horreur, elle est devenue la ville infernale. Plus d’activité. La plupart des boutiques fermées. Les rues pleines de soldats qui rôdent, de patrouilles, d’espions, de gendarmes et de Kurdes aux yeux menaçants. Le soir, dès sept heures, silence de mort et vide partout. Les fenêtres bien closes, les rideaux tirés, aucune lumière dans les maisons. Elle est devenue la ville tragique. Les Arméniens la fuient, les Européens la quittent, et les Turcs eux-mêmes attendent avec terreur l’écroulement final.
Cette fin, si redoutée, mais indispensable pour la paix du monde, paraît imminente. L’intervention européenne s’impose. L’Empire ottoman, trop décomposé, est mûr pour la régénération. Et ce sera l’honneur des Arméniens, d’avoir par leur sang ouvert l’empire d’Orient à l’entrée des forces civilisatrices.