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l’autre alceste
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tre l’envoyé de, l’ange de la mort, et rependre, au-dessous de la mienne, sa feuille vitale à la branche de Sidrat-Almuntaha.

V

Récit de Roboam

Doublemain viendra avec des ciseaux de barbier ou l’arête coupante de ses avant-bras, et détachera une boucle de ma chevelure pour la consacrer à l’ange de la mort, et ainsi il ne touchera pas à un poil de la barbe de Salomon mon père, et l’ange qui veille les yeux fixés sur l’arbre Sidrat-Almuntaha ne verra point jaunir et se recroqueviller la feuille qui à germé quand s’est animée la semence de David.

Plein de ces pensées, je suis venu vers le marais, et, comme dans les songes d’été, on court, dans un spasme douloureux ou amoureux, sur le sable sec vers le reflux à qui le flux ne fait plus équilibre de la mer, et l’on chasse devant soi la déroute des petites vagues blanches murmurant sauve-qui-peut, je n’ai point vu le marais, mais un peu d’eau dans une prairie près d’un petit rocher entre des herbes desséchées et la lubricité au fond de cette eau du volume cylindrique des livres de mon père et de mon aïeul, ébranlé soi place par les bêtes luisantes des mares, qui le soulevaient par instants, portées vers la surface par la bulle d’air cju’elles respirent, et l’abandonnaient pour un peu d’air vital. J’ai voulu prendre le livre, alors la mare s’est desséchée, la glace a palmé les intervalles fourchus des glaïeuls, les bêtes de l’eau ont foui la terre. Et Doublemain est venu sans marcher, les pieds unis formant la figure des deux nageoires caudales d’un poisson dressé, glissant tout droit avec le bruissement des petits cristaux du givre écrasé. Et pas plus que la femme de mon père, Balhis, je n’ai vu sa face. On dit qu’on ne voit point sa face avec les yeux du corps. Il avait un visage feint de velours vert, et moi j’ai senti, comme une toile d’araignée, un masque de velours blanc se tisser jusqu’à mes tempes, avec un prurit délicieux, selon une ligne qui partait du haut et du milieu du front, et par la tempe droite titillait l’aile de la narine droite. Ce fut si voluptueux, descendant au contact horizontal de mes lèvres où la peau rouge est plus mince, que je grinçai des dents et vis que nos deux masques étaient deux masques d’escrime, le mien tissu des poils embabouineurs des chats, ou des plumes circumorbitaires des oiseaux nocturnes, ou plus exactement des poils pareils à des plumes du poitrail des chiens du pays de Sin, qui sont comestibles. Doublemain avait un toit sur le visage, et c’est à quoi je le reconnus pleinement, d’écailles de bronze pareilles à des feuilles de myrte. Et nous engageâmes nos épées de si près que nous ne pouvions parer sur les lames, mais sur nos avant-bras. Je vis aussi que Doublemain avait les bras doublement coudés, un second bras naissant des os de son poignet ; et selon qu’il levait ou baissait les coudes, de chacune de ses épaules issait un M ou un W. Il ripostait en étendant l’extrémité de son bras, qui était tout un