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réaliser en partie, après le sonnet des Voyelles, dans les Chercheuses de Poux :


Il écoute chanter leurs haleines craintives,
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés
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Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts, électriques et doux,
Font crépiter parmi ses grises indolences,
Sous leurs ongles royaux, la mort des petits poux.


Mais le professeur de rhétorique ne pouvait comprendre ; il sermonne son élève. Celui-ci se fâche. Ce fut entre eux la rupture, définitive.


Sur ces entrefaites, le siège de Paris est levé. Rimbaud, sans prévenir sa mère, vend aussitôt sa montre et s’embarque de nouveau pour la capitale, où il descendra chez André Gill, dont la double gloire de caricaturiste et de poète est parvenue dans les Ardennes, en même temps que sa réputation de révolutionnaire.

Gill, il l’a quelque part raconté, était absent de son atelier à l’arrivée du voyageur ; il avait, selon son habitude, laissé sa clef sur la porte. Quand il rentra, sa surprise fut grande de voir un jeune et long jeune homme fatigué ronflant, à gros poings rouges et fermés, sur la banquette de l’antichambre. Il le réveilla. Celui-ci se nomma, se présenta comme il crut ; mais le bon caricaturiste, ne comprenant que peu, poliment le congédia, sans plus.

Rimbaud n’avait pas un sou : le prix de sa montre avait à peine suffit à payer son voyage en chemin de fer. Où aller ? Il ne connaissait personne dans ce Paris encore, malgré deux précédentes présences, inconnu. Il dut, huit jours durant, errer par les rues, sans pain, ni feu, ni lieu ; apaisant mal ses faims de détritus et trompant affreusement sa fatigue par de durs sommeils sous les ponts et dans les bateaux à charbon. Au bout de ce temps, comme il mourait littéralement de misère, il se résigna à sacrifier sa liberté en faveur de sa vie, à reprendre la route de Charleville.

La campagne, au moins, offre des charités et la maraude en quelque verger ou quelque champ ! Il venait, l’adolescent plein d’appétit, d’éprouver que Paris pour l’infortuné est le plus impitoyable et le plus mortel des déserts… Une amertume d’homme plisse prématurément sa bouche de passion, et, jalousé par le ciel, ses yeux d’ange pleins d’un rêve de félicité universelle, il marche gigantesquement par cette région d’est de la France dévastée par l’Allemand.

Dans la forêt de Villers-Cotterets, il crut, une fois, son corps menacé d’un écrabouillement. C’était par une nuit opaque. Une chevauchée fantastique de bavarois saouls et poussant d’affreux cris, avec un tumulte épouvantable, sur lui fonçait, à galop