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per aux questions des contrôleurs ; enfin, le train entre dans la capitale. Pas plutôt sur le quai de la gare de l’Est, Rimbaud, qui n’a de ticket à exhiber, est mis par les employés entre les mains du commissaire de surveillance, qu’il qualifie selon ses mérites et qui l’arrête.


C’est au Dépôt qu’Arthur Rimbaud s’en fut proclamer la République !

L’examen de papiers hiéroglyphiques, saisis sur lui et qui n’étaient autres que des vers, l’avait, en l’intelligence policière, rendu suspect d’espionnage ; il ne voulait, en outre, ce long gamin d’accent ardennais, dire son nom ni l’adresse de ses parents. On l’envoya à Mazas, sous l’inculpation élastique de vagabondage, à défaut d’autres plus consistantes. C’était la cellule humanitaire après la geôle maternelle, pour l’aspirant à la liberté, qui eut dès lors à rêver, enfant poète, sur la sottise sociale, sur la qualité des aspirations républicaines et autres patriotismes…

Néanmoins, au bout de douze jours, il consent à livrer à la justice son nom et la référence de M. Izambard, son ami. On écrit à celui-ci, qui s’empresse de réclamer l’enfant, non sans expédièr le prix du trajet impayé au chemin de fer. Libéré de Mazas après quinze jours de détention, Rimbaud n’est pas laissé maître de ses gestes, mais escorté jusqu’à la gare du Nord, où des policiers l’embarquent à destination de Douai. C’était là que l’attendait son professeur, devant le réintégrer, en la prison familiale de Charleville.

L’accueil de madame Rimbaud fut comme on pense ; c’est-à-dire mal pour guérir Arthur de son horreur de la maison.

Aussi, quelques jours après, s’enfuyait-il de nouveau : cette fois sans un sou, à pied, par les routes, dans l’unique et fallacieux espoir de vivre de sa plume.


Il avait, au collège, connu le fils du directeur du Journal de Charleroi, M. des Essarts. L’idée de devenir rédacteur à cette feuille le conduit. Il descend la vallée de la Meuse, gagne Fumay, où il rencontre son ami Billuart qui le nantit d’une recommandation pour un sergent de mobiles en garnison à Givet. Là, il ne trouve pas le militaire, de garde à ce moment ; se couche, en son lieu et place, dans le lit de troupe ; puis, sans avoir été aperçu, se remet pédestrement, au petit jour, en route pour Charleroi. Arrivé dans la ville belge, il va aussitôt se présenter au père de son ami, le directeur du journal. Celui-ci le revoit vaguement.

« Le soir, écrit-il lui-même à Billuart, j’ai soupé de l’odeur s’exhalant, par les soupiraux, des viandes qui rôtissaient aux bonnes cuisines de Charleroi. »

Il passa même la nuit à la belle étoile, pour, le lendemain, aller de rechef se présenter à M. des Essarts. Encore que l’épithète de « jûne homme », avec laquelle instamment le directeur du journal l’avait accueilli, lui semblât bien étrange, il ne perdait pas espoir ; et puis, on lui devait une réponse décisive ! il l’eut, en effet, à la fin, cette réponse ; mais négative.