Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

influences républicaines, voire révolutionnaires (Le Forgeron, Le Châtiment de Tartuffe, Rages de Césars, Le Mal qui prouve la lecture de Proudhon) ; encore que parfois, que souvent de curieuses et franches originalités l'éclairent singulièrement, cette poésie de début, et qu’une marche en avant vers la beauté et la bonté veuves de tout vieux mythe et libres y résonne, par étapes : sensation venant corroborer cette autre particularité dévoilée des goûts d’étude d’Arthur, à savoir que, détestant la soutane, il délaissait un peu l’Histoire, professée par l’abbé Wilhem auquel, malignement, il se contentait d’adresser des questions touchant les guerres de religion, la Saint-Barthélemy, les Dragonnades. Sans doute, pour la caractérisation de ces premiers vers de Rimbaud, il ne faut pas compter non plus sans la marée, remontante alors, des idées républicaines se canalisant par la France au moyen du Rappel des Hugo, de la Lanterne et de la Marseillaise de Rochefort, Flourens, etc.


Mais, ensemble que sa pensée s’éprenait de révoltes, son cœur couvait des ardeurs d’indépendance, sous la glace des sévérités maternelles. Un amour, le premier, contrecarré par la privation stricte de tout argent, lui mit en l’âme de l’horreur au regard du sentiment d’orgueil triomphant dont le protégeait madame Rimbaud. De l’indulgence, une grande générosité envers les cancres se marquait de plus en plus dans son caractère ; et, bien que, mieux que sa mère, il eût conscience de sa supériorité intellectuelle, il soutirait qu’on la vantât et, pour rien au monde, il n’eût voulu en faire apparat. Par contre, il n’aimait d’être traité en petit garçon. Déjà il montrait une volonté décidée.

Un beau jour, il déclara en avoir assez de l’école : il ne voulait du baccalauréat inutile ; jamais plus il ne franchirait le seuil d’aucun collège, ni d’aucune autre sorte de maison d’instruction ; il était poète : il voulait vivre ; pour vivre, il lui fallait de l’argent et connaître Paris. La mère, devant cette effrontée et brutale déclaration, demeura inflexible, impitoyable, non sans matérielle et bonne raison, il faut l’avouer ; aussitôt après la guerre — qui, à l’heure qu’il est, emplit l’atmosphère de cette région de l’Est d’un tumulte capiteux de rapine et de meurtre, — son fils devra reprendre ses études interrompues, ses études pour devenir un ingénieur ! Lui, de son côté, ne demeura pas moins inflexible. Et le 3 septembre 1870 au soir, ayant, tandis que Napoléon III rendait son épée aux Prussiens en Sedan, vendu ses livres de prix, après avoir rimé le sonnet


Morts de quatre-vingt-douze et de quatre-vingt-treize,


il prit à la gare de Charleville un billet pour Mohon, avec l’intention bien nourrie de poursuivre, coûte que coûte, jusqu’à Paris.

Durant le trajet du chemin de fer, dépassé Mohon, voici notre fuyard se cachant sous les banquettes du wagon, afin d’échap-