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l’instruction religieuse, enfermé dans un grenier pour avoir lu un livre mal orthodoxe, mais que ce sévice lui fit connaître le monde et illustrer la comédie humaine.

Le collège de Charleville, à la fin du second empire, ouvrait ses cours à des séminaristes qui, plus nombreux et plus âgés et travaillant avec plus d’assiduité, gagnaient sur les collégiens laïcs presque toujours les premières places. Arthur Rimbaud ne fut pas plutôt en classe qu’il les laissa derrière lui, tous et jusqu’à monsieur (nous pardonnera-t-on de profaner cette matière d’un pareil nom ?) Jules Mary, le plus redoutable d’entre eux.

« Rien de banal ne germe en cette tête », disait M. Desdouets, le principal du collège ; « ce sera le génie du mal ou celui du bien ». La suite nous dira que cette prédiction se réalisa, modifiée seulement de distinguo en synthèse.


Dès son enfance, Rimbaud montre donc une intelligence d’élite. Déjà, au reste, les notions convenues de bien et de mal étaient repoussées par son esprit ; son âme se refusait aux impositions et n’acceptait que ce qui lui venait d elle-même. Il buissonnait aventureusement par les environs de la ville et jusqu’à la frontière belge, sans que ses études pourtant en souffrissent. Et sa juste et vraie bonté, native, le fait sans scrupules l’ami de contrebandiers, dans le même temps que, en classe de sciences où il répugnait, il écrit pour ses camarades des vers latins sur un sujet de composition devant être par lui-même traité.

De ce qu’un jour, au cours de mathématiques professé par M. Barbaisse, il lança un livre à la tête d’un séminariste venant de le dénoncer comme l’auteur d’une innocente gaminerie, quelqu’un a conclu qu’il était sournoisement cruel. Rien n’est plus injuste, plus faux. D’abord, le séminariste en question était un grand et solide gaillard, capable de mater vingt fois Rimbaud, tout faible et frêle alors ; puis, il ne faut voir dans cet acte de violence qu’une directe protestation de noblesse en face d’une vile et lâche délation, une révolte haut châtiant une basse et moucharde soumission.

Ses professeurs de lettres, à l’encontre de ceux de sciences, l’aimaient, l’admiraient ; bien qu’il eût, en 1866, Virgile le délectant, varié un « debellare superbos » de fin de vers en « degueulare superbos » : cela pour la plus grande joie de sa classe… et impunément, car le professeur était sourd. Entre autres et particulièrement, M. lzambard, son maître en rhétorique, s’émerveillait de sa précocité et de sa fièvre apte d’élève : il s’attacha à lui, l’encouragea ; si bien que Rimbaud, dès sa quinzième année, tout en traduisant Juvénal, Tibulle, Properce en vers français, connaissait Rabelais, Villon, Baudelaire, les Parnassiens, tous les poètes.

Sa veine personnelle de vers part aussi de ce temps (1869-1870). Elle fut abondante aussitôt. La manière romantique et parnassienne s’y dénonce (Les Étrennes des Orphelins, Sensation, Ophélie, Soleil et Chair, À la Musique, Ce qui retient Nina, Bal des Pendus, Vénus anadyomède) et ce sont des