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puis, après de plus profonds malheurs, il rentre dans le sein du scepticisme qui n’est que probité intellectuelle, et qui s’exprime en la vie par une ironique pitié. — Cette position est d’une nouveauté psychologique amusante, et M. Rzewuski la développe d’une écriture enlevée et vibrante.

J’ai tout-à-l’heure parlé du patriotisme ; une autre question de sociologie se pose, suggérée par deux livres parus ce mois : Les Échos du Liban, poésies juives, M. Victor Giavi, et le Triomphe d’Israël, roman moderne, de M. Jean Stella. Cette question est celle que les sémites appellent l’antisémitisme, et les antisémites le sémitisme. M. Édouard Drumont a clos ses pamphlets. La Dernière Bataille, la Fin d’un Monde, le Testament d’un Antisémite, ses derniers titres disent sa lassitude résignée. Il démarque le mot de Rochefort : « art. I Il n’y a plus rien. — art II Les Juifs se sont chargés de l’exécution du présent décret. » De son côté M. Anatole Leroy-Beaulieu, économiste-distingué, a étalé sur la question juive, dans la Revue des Deux-Mondes, un stock de considérations fanées, expressions d’une bienveillante antipathie. J’aime mieux la franchise de M. Brunetière disant à propos de la France Juive : « J’avoue que je n’aime pas les juifs, comme je n’aime ni la musique, ni les montagnes, ni Baudelaire. » Le fait est qu’en France l’antisémitisme est avant tout sentiment inné et héréditaire. La partie cultivée de notre population est, rationnellement, très tolérante et plutôt sympathique aux israélites ; instinctivement elle garde à leur égard une certaine réserve. Le phénomène s’explique historiquement par une longue éducation de mépris qu’il est difficile de faire disparaître, bien plus que par une sorte d’importation du piétisme allemand. L’antisémitisme n’est pas dangereux. Quant au sémitisme il n’existe que depuis l’émancipation de la race juive en France, 1808 ; il n’y a pas un siècle ; dans un siècle il n’existera plus. Par suite de la merveilleuse faculté d’assimilation des sémites et par suite de la multiplicité des