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et funestes pour la vie, qu’est faite la psychologie d’Entragues. Il a besoin de sensations délicates, il en jouit délicieusement, jusqu’à se construire sur leur base un palais de rêve, jusqu’à se distraire de la réalité même qui les lui a suggérée ; et dans cette distraction, il perd le sens de la minute présente, il rate sa vie. Le rêve dissipé, le cérébral reprend le dessus, juge à froid l’incident passé et déplore la défaillance de tout-à-l’heure, avec une amertume mitigée par le plaisir même de l’analyse. Cette antinomie est précisée et symbolisée par l’intrigue d’Hubert d’Entragues avec la séduisante et fuyante Sixtine Magne. Avant chacune de leurs rencontres, Hubert a prévu avec précision la facile tactique qui doit la faire tomber entre ses bras. Après, il se rend compte avec exactitude des raisons pour lesquelles cet abandon fut différé. Et ces raisons ? c’est chaque fois qu’au lieu d’agir, de « commander la situation » il s’est laissé prendre et endormir par le charme de la sensation présente. En fin de compte c’est dans les bras d’un dramaturge russe que glisse Sixtine, et Hubert se fait une analyse si exacte de leurs nouveaux états respectifs qu’il en demeure suffisamment console. — Cette histoire fait un gros roman parce que chaque scène nous est présentée dans l’esprit d’Entragues, avant, — dans l’esprit de Sixtine, avant, — en elle-même, et c’est alors un dialogue, — et dans l’esprit des deux personnages après. Au surplus, les méditations d’Entragues aboutissent fréquemment à l’élaboration d’un récit allégorique, légende, nouvelle, vers, fable. Une bonne partie de la littérature d’Hubert nous est ainsi transmise. La méthode est ingénieuse, parce qu’elle permet l’intercalation d’une foule d’entremets savoureux, et elle n’est pas ici vicieuse, parce que c’est le roman d’un littérateur qu’on déroule, chez qui tout se résout en notations écrites. De même se justifient les longues discussions latérales sur l’art, sur la littérature contemporaine, sur le patriotisme, etc. De même encore, les épigraphes épinglées en tête de chaque chapitre. L’écrivain les choisit neuves, piquantes, propres à mettre l’esprit au ton voulu pour les pages à venir. C’est le procédé