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religieux ; celui-là apparait dans les civilisations décadentes, celui-ci aux âges naïfs. Le premier est séduisant par l’élégance raffinée et fatiguée qu’il synthétise, et pour un épris d’art et d’histoire, c’est toujours un enviable refuge : un contemporain, M. Louie Ménard, a pu évoquer, avec quel charme ! les « Rêveries d’un païen mystique ». Le second, au contraire, est assez insupportable chez les snobs qui s’amusent aujourd’hui à le lancer, et eux avec (M. Mæterlinck, notez, n’est pas mystique chrétien, il est mystique, absolument.) Mais les authentiques croyants du XIIIe et du XIVe siècle sont intéressants, parce que dans leur entière ignorance, ce n’est pas un trouble mélange de catholicisme, de socialisme et de tolstoïsme qu’ils étaient, c’est leur âme nue. C’est pourquoi Jean Van Ruysbroeck, né en 1274 à Hal, retiré au Val-Vert, dans la forêt de Soignes, et mort à cent-sept ans après avoir écrit douze livres, sans avoir rien su du siècle, n’intéresse décidément plus que M. Paul Desjardins. Je ne recommanderai pas sa lecture à tous. « il est indispensable, dit le traducteur, de prévenir honnêtement les oisifs sur le seuil de ce temple sans architecture ». Je ne tenterai pas non plus l’analyse de ce traité de mystique qui serait aussi vaine que celle d’un manuel de mécanique. Les curieux de telle littérature seront suffisamment mis en goût par l’inquiétante et prestigieuse Introduction de Maurice Mæterlinck, et ils ne regretteront pas, à la lecture de sa version, de ne savoir déchiffrer le texte. « La présente traduction, écrit-il, n’a d’autres mérites que sa littéralité scrupuleuse. J’ai résisté à d’inévitables tentations d’infidèles splendeurs, car sans cesse l’esprit du vieux moine touche à d’étranges beautés, que sa discrétion n’éveille pas, et toutes ses voies sont peuplées d’admirables rêves endormis, dont son humilité n’a pas osé troubler le sommeil. » Outre la traduction de l’Ornement des Noces spirituelles (le merveilleux titre !), M. Mæterlinck donne les essentiels fragments des autres écrits de son auteur : tous traitent exclusivement de la même science : une théosophie propre à Ruysbroeck, l’étude minutieuse