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rien. Mais la Princesse Maleine, et surtout les Aveugles et surtout l’Intruse sont d’un tout particulier mysticisme. Brièvement le mysticisme de M. Mæterlinck se caractérise en ceci : qu’il s’exprime en phrases très claires, très simples mais à double ou à triple sens, sens de plus en plus lointains sans cesser jamais d’être cohérents, et de s’amplifier les uns par les autres. De la sorte, le lecteur finit par s’effrayer de chaque mot car auprès d’aucun il n’a plus la sécurité d’une banalité plane, il n’est plus certain qu’il ne cache pas le plus terrifiant mystère. C’est là excellemment un procédé de fantastique. M. Mæterlinck n’est pas un simple fantastique et cet art n’est chez lui qu’une méthode, plus au juste une expression naturelle de son tempérament. Il est effrayant, comme Banville était réjouissant. Son mysticisme exprimé par un sens extérieur presque insignifiant, mais symbolique à plusieurs puissances, affecte une forme artistique d’une remarquable pureté, et dont la traduction par Baudelaire des Histoires Extraordinaires est l’évident prototype. Poe, le Poe de la Maison Usher est à coup sûr son maître familier ; aussi Villiers ; et aussi les primitifs et les mystiques. Ruysbroeck dont il traduit aujourd’hui le chef-d’œuvre n’est pas le seul qu’il pratique. Il sait les Disciples à Saïs et les Fragments de Novalis, les Biographia littéraria et l’Ami de Samuel Coleridge, le Timée de Platon, les Ennéades de Plotin, les Noms divins de Saint-Denis l’Aréopagite, l’Aurora du grand Jacob Böhme : c’est lui qui nous l’apprend dans son Introduction. Mais peut-être associe-t-il trop étroitement tous ces noms. Il faudrait s’entendre, et nul n’eut su le faire mieux que lui, sur le mysticisme de Platon, de Plotin, de Ruysbroeck, j’ajouterai (puisqu’il a dit « des néoplatoniciens ») des néo-Kantiens ; il faudrait au moins distinguer nettement le mysticisme païen du chrétien. Le mysticisme étant la tendance d’un esprit à regarder en lui-même aussi avant que possible jusqu’à l’extase par l’éblouissement de son interne lumière, pour un païen est plastique, artistique, philosophique, pour un chrétien, théologique et