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simple à son gré, d’aspect trop peu victorieux, qui ne s’emportait qu’en paroles sonores, que surtout elle trouvait sale et qui puait, contredit l’idée qu’elle s’en était faite. Elle fut choquée de n’avoir rien perçu « de la flamme et du vent du midi. »

Pourtant, elle eut dû l’avouer, ce qui la préoccupait plus que ses souvenirs littéraires et ses considérations esthétiques sur le paysage, plus que ses répugnances, c’étaient les caresses d’Henvi auxquelles elle s’abandonnait avec délices. Il avait éveillé en elle une ardeur sensuelle qu’elle ne connaissait pas : elle oubliait presque tout le reste pour n’être qu’à ce bonheur nouveau qu’elle goûtait avec emportement.

Pour cela encore, elle était génée, la présence de ses beaux parents lui pesant, arrêtant ses élans. Elle en vint à leur savoir mauvais gré des regards complaisants qu’ils avaient pour leurs caresses, de leurs propos et de leurs sourires.

Elle avait préparé à leur intention un rôle de « fille tendre et empressée, » « d’orpheline recueillie, entourant de piété et de gentillesses des parents qui consentaient à l’adopter, reportant sur eux, une part de l’amour qu’elle avait pour leur fils. » Mais ils lui avaient paru « trop vulgaires et trop communs » ; leur exubérance avait choqué sa nature calme, et, dès leur accueil trop chaleureux, trop « bon enfant » elle avait renoncé à jouer son rôle, le trouvant « bébéte » ; les manifestations de leur tendresse la dégoûtaient des sentiments de famille : plus ils se mettaient en frais, plus elle s’éloignait d’eux. Il lui sembla que les câlineries du père s’adressaient à sa fortune et elle prit en horreur ses baisers au goût d’ail. Quant aux gentillesses de sa femme trop fardée et trop parfumée, à ses lourdes grâces rancies, elles lui donnaient des nausées. Jeanne supportait mal les interminables récits où la pauvre femme rappelait des succès et un bonheur imaginaire, les compliments et les fadeurs dont elle l’accablait et lui en voulait de l’érudition et des connaissances dont elle faisait parade. Elle trouva grotesques les simulacres de scènes de jalousie que la grosse