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Mais, dès les premiers soirs, le pays avait déplu à Jeanne.

D’abord elle l’avait examiné avec curiosité, heureuse de voir enfin ce ciel de Provence dont elle avait lu si souvent des descriptions dans les romans. Mais, du soleil resplendissant, elle ne remarqua que la brûlure cuisante ; du cristal d’azur du ciel, que l’ennui de son uniformité ; du vaste paysage luxuriant, aux lointains bleuis et dont la transparence de l’air rapprochait les formes, que la fatigue de sa précision et de ses lignes trop arrêtées. Le long ruban des routes blanches, encadrées d’une verdure, comme poudrée, les maisonnettes aux teintes claires, la lumière et la crudité des couleurs brûlaient ses yeux ; la poussière l’étouffait et le chant des cigales l’assourdissait. À peine sa désillusion fit grâce à la mélancolie des oliviers poudreux et au caractère d’un pèlerinage à quelque Notre-Dame de village, où, parmi les tumultueuses boutiques de foire, grouillant à l’entour de la chapelle, au bord d’un clair ruisseau encaissé, dans un décor resplendissant, les garçons enrubanés déroulèrent la farandole au son des fifres et des tambourins.

Plus précisément elle souffrit de la vie trop paresseuse et trop peu confortable, et, comme le soleil et la complicité du pays l’endormaient dans la mollesse, il lui tarda bientôt de secouer sa torpeur. Aussi son estomac pâtit comme ses yeux et ses oreilles, se révolta de la cuisine à l’huile et l’ail, de la douceur des fifres et de la fraîcheur des pastèques. Enfin, elle fut torturée par les mouches et les moustiques dont les attaques raffolaient et dont à peine les moustiquaires la purent garantir la nuit.

Elle avait encore apporté l’enthousiasme de ses souvenirs littéraires et considérait de tous ses yeux « ces Latins qui une seconde fois ont conquis la Gaule ». ils lui apparurent sous la forme de paysans au cuir tanné, peinant aux champs, désaltérés d’une gorgée d’eau bue à même le cruchon colorié renversé au dessus de leur tête, rassasiés d’une croûte de pain et d’une gousse d’ail ; de femmes aux robes claires, courant pieds nus ; de paisibles bourgeois se chauffant placidement au soleil, abrités sous des parasols ou d’immenses chapeaux de paille. Toute cette population, trop