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À force de précautions, le mariage passa presqu’inaperçu en ville, on ne commença de « clabauder » que plus tard.

Pour masquer son empressement à quitter Douai la jeune mariée demanda à être présentée aussitôt à ses beaux parents, et, deux heures après la messe, le ménage partait pour le midi.


Mme  Dannay qui avait à peine trouvé le temps de bouder, ne cacha ni son indignation ni sa fureur : elle était persuadée qu’on lui avait volé quelque chose. Son mari essaya d’atténuer les torts des jeunes gens, timidement excusa « une ardeur… après tout… bien naturelle… » parla du « besoin d’être seuls » ; cette audace lui valut un regard sévère qui le foudroya et Émilie lui reprocha amèrement « son manque de principes et sa complicité. »

— Mais c’est honteux ! Ils ont eu l’air de se cacher… ce ne sont pas des façons : pas un dîner ! pas une soirée ! pas un chat ! et cette messe bâclée !… On ne se marie pas comme ça !… ça ne s’est jamais vu…

Elle s’emporta si bien que le bon homme se hâta de capituler, de l’approuver pour la calmer. À part soi, il donna pour excuse à sa lâcheté qu’après tout les jeunes mariés étaient loin et qu’il restait seul à supporter l’orage.


Dans le coupé qui les emportait et où plus personne ne les gênait, Henri et Jeanne fiévreusement s’abandonnaient à des caresses passionnées, goûtaient enfin des délices qui les extasiaient.

Le grondement du train trépidant, les champs multicolores traversés à toute vitesse, les stations tumultueuses, les stupides sièges incommodes, le bruit et la poussière, même le ridicule de cette nuit de noces en wagon — à peine entrevu par éclairs — tout passa dans une ivresse de baisers.

La cuisante chaleur de la Provence eut seule raison de leur ardeur et ils se réveillèrent au bout du voyage, exténués,