Page:La Revue blanche, Belgique, tome 3, 1891.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

femme aimée ?

Florent eut un sourire triste,

— Ah vos tenaillants désirs ! soupira-t-il, et vos assouvissements misérables ! il s’agirait de mettre en balance la tristesse nostalgique des lendemains et les affres de l’inaccessible. Les plateaux ne bougeraient pas. J’estime que le bonheur consiste à n’y pouvoir atteindre, et pour peu qu’il y ait là seulement de bonnes heures, ne les ai-je pas coulées de façon autrement intense. Frôlant sans m’y daigner arrêter ce que tu dénommes bonheur, je me suis gonflé de tout celui qui m’aurait pu échoir. Il était celui là exempt des déboires pénibles et de ces heurts d’illusions qui ne laissent d’être gros de larmes, car j’y mettais assurément plus que ne m’auraient donné les réalisations où vous autres vous vous obstinez. Jouir de l’amour sans en pâtir cela est appréciable.

— Sais-tu que tu es immoral.

— J’ai des mœurs je te l’assure, dit-il, car mon rez de chaussée ayant porte sur rue, aucune allée et venue n’a jamais sollicité les interprétations de mon concierge.

— Tu ne me feras pas croire, répliquai-je, que tu ne places tes sentiments fort bas. Ainsi, moi…

— Tu ressembles fort, interrompit Florent, à ces voyageurs, qui, au pied d’une cathédrale et les yeux en l’air, contestent la beauté de son architecture ; et ils n’en voient que les gargouilles. Celles-ci servent à rejeter loin du monument des eaux dont l’égout pourrait en altérer les fondations. Quoique uniquement détergentes, il importe que ces chimères ne soient pas inharmonieuses à l’édifice. Ainsi ai-je tenté de modeler ces dégorgeoirs que constituent mes menues expériences. Peut-être t’initierai-je plus tard à une vie parallèle et toute sentimentale, autrement intéressante à mon gré, mais l’heure, tu l’avoueras, serait bien mal choisie.

Je quittai Florent piqué de ne m’être pas avisé jusqu’alors que je pusse avoir affaire à un simple coureur. Évidemment il doit être connu dans les établissements de nuit et y avoir un surnom.

Claude CEHEL