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« Mam’zelle Ugénie » aimait beaucoup la chanson et raffolait des romances d’amour, des chants patriotiques. Toujours prête à rire ou à chanter, elle connaissait un nombre infini de couplets qu’elle égrenait du matin au soir, en lançait à propos de tout. C’étaient d’éternelles histoires d’amants abandonnés, de fiancés, d’amoureux et de guerriers ; des séries interminables de « bouche » et de « couche », de « fleurs » et de « pleurs », d’ « aile » et d’ « hirondelle », de « lilas » et de « frimas », d’ « ébène » et de « reine », de « miel » et de « ciel ». Sa voix aigüe avait tout un répertoire.

Mme Floquée exhiba des recueils de chansons, des cahiers jaunis où la petite couturière avait copié des romances : Mignonne ouvre tes ailes, Un roman sous la mousse, Les cuirassiers de Reischoffen, Trois amours pour un cœur, toutes ses pièces favorites.

— Il fallait l’entendre ! affirma-t-elle, et sous ce prétexte, d’une voix cruellement fausse, successivement elle fredonna :


  “ Quand nous chanteron-ons le temps des ceri-ises… „

déclama :


      “ Vous avez eu, l’Alsace et la Lorraine,
      Mais malgré tout, nous resterons Français „

sussura :


          “ C’est la nei-ège
          Au blanc cortè-è-è-ège… „

— Elle savait aussi des devinettes, des calembours, et quand elle se mettait à faire des « queues », on n’en finissait pas de bosser. Un rire sonore secoua la grosse femme, plissant ses paupières, tirant sa bouche, faisant courir des ondulations de son triple menton à son ventre énorme, qu’elle tenait dans ses mains.

Un soir, la veille de Noël, en revenant de la messe de minuit, « Mam’zelle Ugénie » avait trouvé dans la neige une petite boîte. La boîte contenait un écrin de velours blanc où scintillait un bel anneau d’or.

Elle n’avait d’abord su qu’en faire, toute bouleversée, n’osant garder ce bijou qui ne lui appartenait pas, ne sachant comment le rendre; mais bientôt, sur l’avis de la concierge, elle s’était décidée à porter sa trouvaille à la Préfecture. Comme un an et un jour après la bague n’avait pas été réclamée, on la lui avait rendue.

Depuis Théodore, elle n’avait éprouvé de joie si grande, déclarant que cette bague, tombée du ciel à ses pieds, le jour de Noël, ne pouvait lui venir que du Bon Dieu, qu’elle était désormais la fiancée du Bon Dieu. Elle ne se sentait pas de joie, s’égosillait à chanter et, très pénétrée de la grâce que le Bon Dieu lui avait faite, elle oubliait sa misère, pleine de confiance, redevenait pieuse.

— Çà ne lui valait rien, ces stations dans les églises ; avec çà qu’elle n’était guère forte et qu’elle s’abimait à coudre. Il m’arrivait de la voir travailler des heures d’affilée, penchée sur sa mécanique, pendant que je lui causais. Et puis ses pigeons lui ont donné le coup d