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leur territoire. On signale des troubles graves. L’Égypte n’est pas encore atteinte ; il est presque certain que le fléau ne s’étendra pas jusque là. » — Les malheureux ! qu’en savent-ils ? Je vous dis qu’il est là, tout près, — je le sens qui vient, à pas de loup, comme un voleur.

27 Mars. — Ils ne l’entendent pas venir, ils se croient sûrs du lendemain ; quand je les avertis, ils haussent les épaules. Ils ne me croient pas et me prennent en pitié. Mais ce sont eux qui sont fous ! J’ai envie de le crier, tout haut, dans la rue. À quoi bon ! ils m’enfermeraient. — Ils vont faire un bal à l’Opéra, au profit des victimes d’Asie Mineure. Extrait du Gaulois : « Les artistes de tous les théâtres de Paris ont promis leur gracieux concours. Mesdames X, Y, etc., tiendront des boutiques dans le grand foyer ; elles seront en costumes orientaux. À dix heures et demie, bataille de fleurs ; à minuit, retraite syrienne ; à une heure, bal ouvert par M. le Président de la République. La fleur du monde parisien sera là. Sept cotillons, deux orchestres et musique de la Garde républicaine ; projections du Cercle militaire. »

— Mais, dans un mois, quand Il sera ici, et qu’il les tuera à leur tour, qui donc dansera pour eux ?

2 Avril. — L’Égypte est prise, la Tripolitaine menacée. — Je suis allé au bal de l’Opéra. Comme ils s’amusaient ! Les rires se croisaient, les fleurs tombaient en pluie dans le foyer ; au sommet de l’escalier, les cuivres de la musique jetaient par rafales des galops féroces. Mais, au milieu des habits et des costumes, j’ai vu le Spectre de la Mort bleue qui marquait ses victimes pour le jour prochain.

10 Avril. — C’est fini, nous n’échapperons pas : On signale deux cas à Brindisi. J’ai revu Josué ; il m’a expliqué que le choléra ne pouvait pas venir en Europe : qu’il ne fallait pas s’inquiéter de ces dépêches d’Italie : quelques cas de cholérine qui se déclarent toujours au retour du printemps. Du reste, les mesures sanitaires à l’entrée des ports sont trop bien observées ! — Il m’a dit de reprendre du bromure.

15 Avril. — Ils commencent à s’inquiéter ; il est bien temps ! Des dépêches ont été envoyées à tous les postes des frontières du Midi et de l’Est : ordre est donné d’établir à la hâte des lazarets aux douanes italiennes. À Naples, le chiffre des décès est quadruplé ; des cas sont signalés dans quelques villes du Nord : Milan est pris.

20 Avril. — Ils ne rient plus, ils ont peur, maintenant. Le centre de l’Italie est entièrement atteint. Aux frontières, les lazarets regorgent. Le gouvernement français a nommé une Commission de salubrité. Ils veulent lutter contre le fléau, l’empêcher d’entrer. On soumet les