Page:La Revue blanche, Belgique, tome 2, 1890.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.

immenses et les mers sans horizon, le fléau s’avance par bonds, par sauts. — S’il allait venir jusqu’en Europe, venir jusqu’à…

15 Février. — Je souffre, des migraines atroces me tenaillent. Je voudrais ne plus penser, vivre comme une brute ; l’Idée me ronge le cerveau ; s’Il allait venir jusqu’à Paris ? Josué l’affirmait l’autre jour au Pousset : l’influenza précède toujours l’Autre, les faits sont précis, on me les a cités. J’ai voulu savoir, j’ai lu des livres, et tous parlent de cette épidémie de grippe, qui suit les mêmes routes et vient en avant-coureur. Et cet avertissement, la dépêche de Karaman, dont personne n’a fait mention, mais que moi j’ai vu et compris ? — En 1832, le fléau a fait près de 130 000 victimes ; en 1845, 102 000 ; en 1853, un peu plus de 120 000 !

21 Février. — Les nouvelles d’Asie Mineure sont mauvaises et les correspondants de là-bas insistent sur la gravité du mal. J’ai peur.

25 Février. — Je suis allé consulter mon médecin sur ces accès de névralgie. Il me fait prendre du bromure et du chloral le soir avant de me coucher. Je lui ai touché un mot de mes idées noires, il m’a rassuré. L’épidémie fait de périodiques ravages dans les pays orientaux ; les choses resteront dans le même état, tant que l’hygiène n’y sera pas mieux réglée : il paraît que cela tient aux pratiques religieuses, aux agglomérations de pèlerins dans les villes consacrées. Je savais tout cela, mais j’ai été très heureux de me l’entendre dire par ce médecin. — Du reste, le mal se localise en Syrie. Je suis plus tranquille et ma santé se rétablit peu à peu.

1er Mars. — Pas de nouvelles. Je reste prostré des heures entières.

3 Mars. — J’ai eu la fièvre et le délire pendant deux jours ; je commence seulement à me lever et je puis à peine me tenir debout.

Mes hallucinations m’ont repris. Est-ce bien là ce que l’on appelle des hallucinations ? J’ai toute ma tête, pourtant ; mais il me passe devant les yeux comme des visions ; à de certains moments je m’absorbe, et je vois en moi-même des choses d’épouvante. Il s’avance, je le sais, je le sens.

16 Mars. — Le courrier d’Asie Mineure apporte aujourd’hui des nouvelles sinistres : « Le mal qui semblait en voie d’apaisement, a fait irruption sur divers points de la côte ; les ports, de Beyrouth à Latakieh, sont fermés au commerce maritime. Dans l’intérieur du pays, des villages entiers sont décimés ; quelques villes sont abandonnées. Le mal atteint aussi les animaux domestiques et les bêtes de somme. Les cadavres laissés au revers des routes, empestent l’air et contribuent à propager l’épidémie. La misère est horrible et la famine menace plusieurs centres, toute communication étant interrompue. Dans la région de l’Angora qui n’est pas encore atteinte, les habitants, en armes, empêchent que l’on traverse