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contenterai donc de noter leurs impressions au fur et à mesure de mes visites ou de leurs lettres.

À tout seigneur tout honneur, j’ai commencé par le doyen, M. Louis Alfred Natanson.

M. Louis-Alfred NATANSON

Tout le monde connaît Louis-Alfred Natanson, le conteur délicieux, le poète raffiné, Louis-Alfred, comme on le nomme d’ordinaire, celui dont les Goncourt ont dit dans leur journal : « C’est un grand esprit avec une grande barbe. »

Je ne ferai donc ici ni son éloge ni son portrait.

M. Louis-Alfred me reçoit dans son cabinet de travail.

Il est coiffé d’une petite toque rouge qui égaye encore sa physionomie rieuse et railleuse. Avec une vivacité bon enfant qui me met à l’aise, il me fait asseoir et me demande le but de ma visite. Tout en m’excusant de mon importunité, je jette les yeux autour de moi. La chambre est petite, très claire, pleine de bibelots merveilleux. Au mur, deux tableaux seulement : deux Paul Gauguin superbes. Un divan large et moelleux que le maître semble excuser d’un geste en souriant à mon air discrètement étonné.

— La littérature de demain ?… Ah ! tenez, vous me rappelez mes fougueuses discussions d’autrefois ; oui, nos longues causeries avec Hugo et plus tard, chez Magny, avec Goncourt, Burty, Renan, et bien d’autres qui ne sont plus… Mais, vous l’avouerai-je ? dans ce temps-là, je connaissais un peu mieux mon sujet. Oui, vous savez, je ne suis plus très au courant aujourd’hui, et, à part les œuvres de théâtre…

Je vois briller dans les yeux du maître comme une courte flamme que je m’empresse de noter.

— Oui,le théâtre. Il n’est pas mort, allez, quoi qu’en pense Muhlfeld qui, d’ailleurs, j’en suis persuadé, reviendra de ses théories. Non ce n’est pas un art inférieur : s’il n’y avait pas ce sacré vaudeville qui prend toute la place ! Ça ne peut pourtant pas s’arrêter à Ibsen et à Becque… Mais