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LA FIN D’UN ART


Conclusions esthétiques sur le Théâtre.

« Cette gazette étant littéraire, s’occupera rarement des théâtres », annonçait au premier numéro de ses éphémères Taches d’Encre, un jeune maître des jeunes, M. Maurice Barrès. La génération de M. Barrès et celle d’aujourd’hui qui la suit de près, professent le même dédain à l’égard du théâtre envisagé comme art. Déjà M. Lemaître, un ami de Sarcey pourtant, est, après trois ou quatre ans de feuilleton, fatigué sinon dégoûté « des vaudevilles et des mélodrames », comme il appert de sa bienveillance nonchalante ou ironique. Même mépris chez M. Gustave Kahn, chez M. Jean Schopfer, chez M. Pierre Veber. L’un d’eux me déclarait naguère qu’il ne va jamais plus au théâtre ; j’insinuai alors que l’ahurissante stupidité des fabricants du jour était sans doute la cause de son indifférence : « Non, mon ami, me répondit-il ; n’accusez point l’impuissance de ces dégénérés ; s’ils savaient porter à la scène une intrigue adroite ou des caractères ingénieux, ils ne me feraient pas davantage sourire : par quelle nouveauté pourrait bien encore m’amuser une intrigue, depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui font des scénarios ? Je n’éprouve aucune joie à discerner la trajectoire de leurs fantoches laborieux. Je ne sais pas m’en étonner. Les « caractères » me glacent plus encore ; aussi bien savons-nous qu’il en existe si peu en deçà de la rampe : tout au plus, dans leur universelle veulerie, le caractère de nos contemporains serait « de n’en pas avoir ». Des petites choses drôles du dialogue, des « mots » salés ou poivrés, le cœur me lève rien que d’en parier… Si j’ai paru m’intéresser à la pantomime, c’est exclusivement parce qu’elle me grâciait des « paroles ». En ce sens, les Vingt-huit jours de Chocolat, figurés au Nouveau-Cirque, valurent mes applaudissements : c’était du Chivot moins Chivot (il y avait donc un progrès), et aussi moins les « effets » de vos comédiens qui me crispent à en pleurer ; leur inintelligence normale est mise en valeur par l’hypertrophie de leur vanité, et je ne vois d’égal à leur cabotinage que celui des critiques, qui tous ont le front de vous entretenir chaque lundi des « artistes », comme si nous ne savions pas d’avance qu’ils approuvent la distinction de Mlle Bartet et la rondeur de M. Dailly, qu’ils déplorent la sécheresse de M. Laroche et l’excentricité de Mlle Desdauzas… Ah ! vous voyez de l’art au théâtre, mon ami ? »