Page:La Revue belge, année 4, n° 80, 15 août 1891 (extrait Lamento).djvu/4

Cette page n’a pas encore été corrigée


Je ne me plaindrai pas, si tu ne peux renaître,
Mon amour, doux rosier qui meurs sur ma fenêtre,
Toi pour qui j’ai soigné sa tige, hélas ! en vain.
Moi du moins j’ai connu son arôme divin.
C’est toi que je plaindrai, s’il ne peut pas renaître,
Mon amour, ce rosier qui meurt sur ma fenêtre.

Car souvent on oublie, alors qu’on a vingt ans.
Qu’un long et triste hiver accède au court printemps.
Comme un enfant gâte, l’Illusion folâtre
Vient te baiser au front de sa bouche idolâtre,
Et te fait oublier, ô belle de vingt ans,
Qu’un long et triste hiver succède au court printemps !

En te voyant passer, l’Espérance ravie
De son œil de Chimère illumine ta vie.
Moi, j’ai pour compagnon dans mon âpre chemin
Le morne Désespoir au front de parchemin.
En te voyant passer, l’Espérance ravie
De son œil de Chimère illumine ta vie.

Tu dors sur l’édredon ; un ange au front vermeil
Vient de ses ailes d’or ombrager ton sommeil.
La nuit, à mon chevet, les mauvaises Pensées
Me conseillent tout bas des choses insensées.
Tu dors sur l’édredon ; un ange au front vermeil
Vient de ses ailes d’or ombrager ton sommeil.

La table où tu t’assieds aux feux d’un lustre étale
De fruits et de bons vins la pompe orientale.
Avant d’avoir vécu, brisés par les douleurs,
En me traînant je mange un pain trempé de pleurs.
La table où tu t’assieds aux feux d’un lustre étale
De fruits et de bons vins la pompe orientale.

Tu n’échapperas pas à la loi du Destin :
Ce trouble-fête arrive à tout joyeux festin.
Sa main taille un linceul dans la nappe rougie,
En cierge funéraire il change la bougie.
Tu n’échapperas pas à la loi du Destin :
Ce trouble-fête arrive à tout joyeux festin.

La joie épanouit les fronts les plus sévères,
Le bachique refrain se mêle au choc des verres.
Comme un large Océan, l’orchestre aux bruits vainqueurs
De flots harmonieux envahit tous les cœurs.
La joie épanouit les fronts les plus sévères,
Le bachique refrain se mule ou choc des verres.

D’où vient qu’on se regarde avec un air surpris ?
Sans doute que l’ivresse a troublé leurs esprits.
On entend un bruit sourd s’élever de la rue,
Soudain de tous les fronts la joie est disparue.
D’où vient qu’on se regarde ainsi d’un air surpris ?
Sans doute que l’ivresse a troublé leurs esprits.

Un inconnu soudain s’est glissé dans la salle,
Et le lustre dessine une ombre colossale.
On voit des mots de feu se tracer sur le mur.
On sent le vin s’aigrir et pourrir le fruit mur.
Un étrange inconnu s’est glissé dans la salle,
Et le lustre dessine une ombre colossale.

C’est le vieux Thanatos [1] sur son pâle cheval :
Adieu, lorsqu’il arrive, adieu le carnaval !
Il attache un matin son cheval à la porte.
Il choisit un convive, il le prend et l’emporte ;
Moi, j’entends le galop de son pâle cheval :
Adieu, lorsqu’il arrive, adieu le carnaval !

Toi qui restes encor, couvre ton front de cendre :
Où tous nous descendons tu devras bien descendre.
Le rosier s’est flétri, le luth est fracassé.
Le flambeau s’est éteint, le vignoble est passé.
Toi qui restes encor. couvre ton front de cendre :
Où tous nous descendons tu devras bien descendre.

  1. Nom grec de la Mort