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LAMENTO[1]


Nevermore ! nevermore !
Jamais plus ! jamais plus !
(Edgar Poe. Chant du Corbeau)




Si tu l’avais voulu, mon amour eût fleuri,
Beau vignoble au soleil sur les grands monts nourri ;
Toi seule avec ta main, rivale de l’abeille,
Eûsses de grappes d’or enrichi ta corbeille.
Si tu l’avais voulu, mon amour eût fleuri,
Beau vignoble au soleil sur les grands monts nourri.

La coupe de tes jours maintenant serait pleine
D’un vin pur ignoré par les gens de la plaine ;
Pour assouvir ton âme, amante des sommets
Où fleurit loin des yeux ce qui ne meurt jamais,
La coupe de tes jours maintenant serait pleine
D’un vin pur ignoré par les gens de la plaine.

Mon amour eût coulé dans ta coupe à l’instar
De la boisson des dieux, le céleste nectar ;
A cette heure si triste où le fiel de la vie
Fait crisper de dégoût la lèvre inassouvie,
Mon amour eût coulé dans ta coupe à l’instar
De la boisson des dieux, le céleste nectar.

Plus doux que le Léthé, dans son flot taciturne
Il eût de tes chagrins noyé l’affreux Minturne [2].
Pour rendre à tes désirs, cet beaux cygnes plaintifs,
Les fleuves étoilés des jardins primitifs.
Plus doux que le Léthé, dans son flot taciturne
II eût de tes chagrins noyé l’affreux Minturne.

Mon beau vignoble, hélas ! n’a jamais pu fleurir ;
Par la pluie et le vent tu l’ai laissé flétrir.
Sa feuille avant l’automne, un jour s’en est allée
Parmi les tourbillons de la sombre vallée.
Mon beau vignoble, hélas, n’a jamais pu fleurir ;
Par la pluie et le vent tu l’as laissé flétrir.

Pourquoi donc n’as-tu pas cultivé ma colline ?
La vendange est venue et le soleil décline.
La Mort s’est introduite au sein de mon enclos ;
Sous son pressoir fatal mon sang coule à longs flots.
Pourquoi donc n’as-tu pas cultivé ma colline ?
La vendange est venue et le soleil décline.

Texte du poème

  1. Cette pièce à valu à son auteur les éloges d’Alfred de Vigny.
  2. Marais.