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florentine

flancs bruns tachés d’indigo. J’ai passé ma jambe droite, fatiguée du frottement du timon, par-dessus les sacoches, et je somnole, doucement bercé par le pas alourdi du cheval, les paupières battantes, la vrille d’un bourdonnement dans les oreilles, les reins agacés d’un picotement. Mes yeux, tirés de loin par le noir d’un buisson d’épines que repousse la splendeur des sables, par le froid d’une touffe de chardons qui semblent découpés dans du zinc, commencent à se fermer tout à fait ; ma tête s’incline, très pesante et presque vide, avec un tout petit reste d’idée qui mijote, sous la chaleur grandissante du soleil qui rissole la peau et qui fait cuire la pensée.

Mais, tout à coup, le galop étouffé d’un cheval, dont les sabots retombent dans la poussière fine comme du coton, me tire de mon engourdissement.

— Tiens, voilà le cogne, ricane Vendredeuil qui s’est retourné presque en même temps que moi.

Le voilà, en effet, à cinquante pas tout au plus. C’est le brigadier de gendarmerie du Kef. Un garçon assez haut, pas trop maigre, avec de grands pieds, des yeux lavés, une moustache noire en tire-bouchon et une physionomie banale et vide comme le signalement d’un passe-port. Pas trop mal, après tout, pour une hirondelle de potence, – mais rien que pour ça.

Pas trop bête, non plus, car il nous a apporté à boire. Il tient à bout de bras une peau de bouc qu’il agite en approchant.

— Eh bien ! les tringlots, rien de nouveau ?… Tenez, si vous avez soif…