Page:La Revue Indépendante, tome 14 - janvier à mars 1890.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
revue indépendante

pourrait la trouver mauvaise. Nous montons à cheval et, en deux minutes, nous sommes à la porte du mercanti. Je descends avec Vendredeuil, et nous frappons. Le vieux vient ouvrir.

— Nous venons chercher les malles.

— Prenez-les. Enlevez tout. Foutez-moi la paix.

Florentine, qui a suivi la prolonge à pied, paraît sur le seuil. Elle jette un coup d’œil sur son amant. Le vieux a la figure défaite et blême d’un homme qui a passé la nuit blanche ; il a dû pleurer aussi, car ses yeux sont encore plus rouges que d’habitude. Florentine s’avance vers lui, la main tendue :

— Sans rancune, n’est-ce pas ? On se colle, on se décolle. Veux-tu me donner la main ?

— Non.

La fille détourne les yeux, très humides, et les pose au hasard sur une table où reste une bouteille à moitié pleine.

— Tiens, tu n’as pas rangé la bouteille d’absinthe…

Sourcilleux ne répond pas. Florentine fait deux pas vers lui et, s’arrêtant tout d’un coup, comme prise de honte, bêtement elle demande :

— Veux-tu… me la donner… la… la… bouteille ?

— Prends tout. Enlève tout. Fous-moi la paix.

Elle prend la bouteille et sort. Il reste une malle à enlever. En passant, je jette les yeux sur le manteau de la cheminée, à la place où était accroche le fusil. Il n’y est plus. Et, immédiatement, je l’aperçois dans un coin, les chiens levés, un bout de ficelle attaché à la gâchette. Nous sortons la malle, nous la hissons dans la prolonge, et je glisse deux mots à l’oreille