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droites comme mon coude quand je me mouche. Par ci par là, une porte ouverte : celle du café maure, d’où sort une résonnance de tambourin ; celle du boucher, qui donne sur une cour où l’on aperçoit, au-dessous d’une peau de mouton pendue à une perche, un gros tas de boyaux verdâtres éclaboussés de rouge. Des Bicos : des vieux, sales comme des peigne, avec des barbes de patriarches pouilleux ; des jeunes, maigres, bien bâtis, l’œil cruel et sournois, le mouchoir à carreaux rouges et noirs attaché au burnous ; les uns accroupis ou adossés à des murs, immobiles, prenant un bain de lézard, et d’autres, grimpés avec des mouchachous sur un bourrico à l’échiné écorchée, au garrot sanglant, et qui font leur fuite en Égypte.

La route se change en cloaque. Les chevaux enfoncent dans la boue jusqu’aux boulets. Nous approchons du puits. Le voilà. Des moukères tirent de l’eau en criant. Deux jeunes halent avec des han ! la longue corde d’alfa qui ramène la guerba pleine d’eau qu’elles vident dans une outre en peau de bouc dont une vieille ignoble tient les bords. Très belles, dépoitraillées, leurs haillons glissant à chaque mouvement et découvrant leurs seins fermes, leur lambeau de robe remonté très haut et serré entre les cuisses, elles nous fixent de leurs yeux noirs de panthères contemplatrices. Et des vieilles arrivent, beaucoup de vieilles, avec des figures de pommes tapées, dont les os cliquettent comme les anneaux de fer blanc qui leur pendent aux oreilles, décharnées, défoncées, cassées à angle droit, enguenillées de bleu, la tête