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florentine

s’est bâti une cambuse quelque part, dans un endroit où il y a de la troupe à saouler et c’est établi mercanti. Il n’en manque pas, allez… des vieux et des jeunes… et pas plus propres les uns que les autres… S’il fallait éplucher tout ça… Enfin, pourvu qu’ils se tiennent tranquilles et qu’ils observent les règlements…

Et le gendarme conclut en retirant sa pipe de ses lèvres et en avançant le menton :

— L’écume de la société, quoi !…

Je me suis assoupi de nouveau. De temps en temps, un mot, un lambeau de phrase crève le murmure monotone et lourd de la conversation ; « Florentine… Baluffe… Trop bon cœur… »

Nous arrivons. La route s’engage entre deux monticules piqués de touffes d’alfa, fait un coude à gauche et descend dans une vallée où s’alignent les palettes vertes des figuiers de Barbarie. La senteur forte de l’olivier brûlé aromatise l’air, et du sable que remuent les pieds des chevaux et qui prend des tons de cendres semble s’exhaler l’odeur moite et doucement infecte de l’ordure chancie. Ça sent l’Arabe. Encore un coude à gauche. Nous sommes dans le village. Des chiens qui aboient sur des murs couronnés d’épines, des coqs qui chantent sur des fumiers, des dromadaires silencieux, accroupis sous des porches et balançant leurs têtes de lapins. Une succession de murailles grisâtres, percées seulement de portes mal closes avec des planches de palmier, construites avec des pierres biscornues encastrées dans du limon comme des amandes dans la pâte des nougats, et