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de siège étaient épuisées ; mais cela n’a pas été prouvé par les faits. À l’époque même où il me disait, étant à Port-Arthur, que ses gros projectiles ne suffisaient pas pour résister à une attaque, j’apprenais du général Kondratenko qu’il en restait encore pour plusieurs mois. L’opinion du général Stoessel, qu’il me fit connaître aussi à la même époque, était que les forces japonaises assiégeant Port-Arthur s’élevaient à plus de cent vingt mille hommes. En fait, ces forces, ainsi que je l’appris quelques jours après, me trouvant au quartier général du général Nogi, montaient à peine à cinquante mille hommes.

Ce fut le Bushido qui conquit Port-Arthur. Le principal partisan vivant du Bushido est, en réalité, si l’on en croit les Japonais, le général Nogi. Parmi les Bushi du Japon qui sont devenus proéminents durant la guerre russe, le général Nogi n’a eu qu’un rival d’une valeur égale à la sienne, le commandant Takeo Hirose, qui donna sa vie pour sauver un de ses hommes, dans une tentative désespérée de Togo pour fermer l’entrée de Port-Arthur. Ce fut Hirose qui composa pour sa mort un chant du cygne adressé au « Soleil Levant » et aux « Fleurs de Cerisier » du Japon. Ce fut lui aussi qui introduisit une nouveauté dans la vie militaire en écrivant, du champ de bataille, des lettres à ses amis en Russie, leur disant combien il regrettait que leur amitié fût interrompue par la cruelle explosion de la guerre. Probablement aussi Hirose eut à renoncer à une jeune fille qu’il aimait, parce qu’elle était Russe, et que la guerre avec son pays était inévitable.

Ce même héros populaire, comme suprême distinction, était un champion lutteur du Jiu-jitsu, le jeu national du Japon. À sa mort, toute la nation prit le deuil, et son nom fut inscrit dans le temple de la renommée, comme un des dieux de la guerre du Japon. Son affirmation, en mourant, qu’il reviendrait à la vie sept fois pour combattre pour les générations futures du Japon, a été acceptée avec une foi aveugle par sa nation.

Le général Nogi, quoique n’étant pas de première jeunesse, et sans le charme et l’ardeur romantique qui distinguaient Takeo Hirose comme le marin poète de sa race, n’en est pas moins, dans l’esprit de tous les Japonais, considéré comme l’égal de tous les héros. Lui aussi est un poète et un pratiquant du Jiu-jitsu, aussi bien qu’un guerrier. De plus, c’est un champion parmi les partisans du sabre et un amateur de chevaux, prédilection plutôt rare chez ses compatriotes, tous généralement hommes de mer. À ce propos, on dit de lui que ses chevaux de bataille sont mieux logés à Tokio que ne l’est sa famille ; on dit encore que du vivant de ses fils, il était capable de les tenir en échec tous les deux à l’escrime