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de pendules sonnant à différents moments presque sans interruption. Il est en train d’aménager une roue pareille à une crécelle automatique. Tous, ils espèrent la guérison, car il n’a que vingt-sept ans, et pour le moment il y a même de la gaieté chez eux. On le met très coquettement — pas en militaire — on soigne son extérieur, et, avec ses cheveux blancs, au visage jeune, toujours mélancolique, prévenant, de la noblesse dans ses moindres mouvements lents, comme fatigués, il est presque beau.

Quand on m’eut tout raconté, je m’approchai de lui, je baisai sa main blanche, pâle, qui jamais ne se lèverait plus pour frapper — et cela ne surprit presque personne. Seule, sa sœur, toute jeune, me sourit des yeux et m’entoura de petits soins comme si j’eusse été son fiancé et comme si elle m’eût aimé le plus au monde. Elle fut si prévenante que je fus sur le point de lui parler de mes chambres sombres et vides qui me pèsent plus que ma solitude — cœur vil qui ne perd jamais l’espoir… Elle fit en sorte que nous restâmes seuls.

— Que vous êtes pâle et vos yeux sont cernés, dit-elle tendrement. Êtes-vous souffrant ? Plaignez-vous votre frère ?

— Je les plains tous. Et je suis un peu souffrant

— Je sais pourquoi vous lui avez baisé la main, et ils ne l’ont pas compris. Vous l’avez fait parce qu’il est fou, n’est-ce pas ?

— Oui, parce qu’il est fou.

Elle devint pensive et très ressemblante à son frère, malgré son extrême jeunesse.

— Et moi ?… Elle s’arrêta et rougit sans baisser les yeux. Permettez que je vous baise la main.

Je me mis à genoux devant elle et je dis :

— Bénissez-moi.

Elle pâlit un peu, recula et murmura du bout des lèvres :

— Je n’ai pas de foi.

— Moi non plus.

Un instant ses mains touchèrent ma tête, et cet instant s’écoula.

— Tu sais, dit-elle, je vais là-bas.

— Vas-y. Mais tu ne pourras pas supporter cela.

— Je ne sais. Mais ils ont besoin de moi comme toi, comme mon frère. Ce n’est pas leur faute. Te souviendras-tu de moi ?

— Oui, et toi ?

— Je me souviendrai. Adieu !

— Adieu, pour toujours !

Et je recouvrai le calme et fus comme soulagé, comme si j’eusse déjà vécu tout ce qu’il y avait de plus terrible dans la mort et dans la folie. Et, pour la première fois, j’entrai calme sans peur