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perdu toute sa famille et ses amis, se décida, après avoir tiré sa dernière flèche et ayant eu son cheval tué sous lui, à chercher un refuge dans un arbre creux, où il refusa de mourir, improvisant cette poésie japonaise devenue fameuse :


« Vous tous, vous désastres, vous défaites, vous calamités,
Vous ne pouvez pas courber mon âme jusqu’à terre,
Vous n’avez fait que m’apprendre à mieux
Supporter le fardeau de l’infortune. »


Il y a une tendance moderne aujourd’hui au Japon, parmi quelques professeurs d’origine étrangère, à déplorer l’existence du Bushido, avec ses principes démodés de vengeance par le sang, et du hara-kiri aussi antique que l’était le cérémonial du sabre et du tir à l’arc. Ainsi le professeur Shiga, de l’Université de Tokio, dans un article sur la prise de Port-Arthur, dit : « Les préceptes du Bushido, la bravoure individuelle, tout cela n’est rien sans l’aide de la science moderne. »

C’est évident, mais le professeur aurait exprimé avec plus de vérité, les sentiments réels de son peuple, s’il avait dit que la science moderne seule n’est rien, à la guerre, sans la bravoure individuelle stimulée par une éducation comme celle du Bushido.

Le Bushido est la force qui a vaincu dans la guerre avec la Chine. Les vaisseaux de guerre chinois, qui furent détruits à l’embouchure du Yalou, étaient aussi modernes et aussi bien équipés que ceux des Japonais, et leur tir non moins destructif. De plus, ils étaient commandés par des Européens. Ce fut le Bushido qui éparpilla la flotte de Witgeft, aussi forte que l’escadre de Togo, et fit rentrer le prince Oukhtomsky dans Port-Arthur. Ceux qui connaissent bien la marine russe ont déclaré que les Russes ne pouvaient espérer battre les Japonais sur mer qu’en opposant deux vaisseaux à chaque unité de l’ennemi. C’est un témoignage rendu au Bushido japonais, aussi sincère que les paroles de Kouropatkine insistant sur la nécessité de lui assurer une supériorité numérique, si l’on voulait qu’il pût jamais gagner une bataille en Mandchourie.

Ce que j’ai vu de l’esprit du soldat japonais sur le champ de bataille me fait croire que le Bushido tombera en désuétude de même que le hara-kiri et la vengeance par le sang déjà presque complètement supprimée par le code criminel moderne ; mais l’esprit du Bushido restera une force vivante au Japon, aussi longtemps qu’il y conservera les vertus idéales du soldat : le courage, la force de caractère, la loyauté, la courtoisie, la générosité, la modestie, la droiture, la vérité et l’honneur militaire.

Colonel E. EMERSON.