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le pont de son bateau, a été, pendant longtemps, un sujet favori de l’art japonais. À la chute de Port-Arthur, l’histoire de cette mort si touchante a été rappelée par tous les conteurs, qui sont des professionnels au Japon, comme un exemple saillant de ce que le général Stoessel aurait pu faire, mais ne fit pas.


V


Avant que Port-Arthur ne capitulât, on peut affirmer que la grande masse du peuple japonais espérait fermement que Stoessel se suiciderait plutôt que de survivre à la chute de la forteresse. Il y eut même un journal très avancé, l’aristocratique Nippon de Tokio, le seul que le Mikado daigne lire, qui en parla dans les termes suivants :

« La capitulation du général Stoessel est honorable, puisqu’il a tout fait pour l’intérêt de son pays ; mais le cas d’un officier japonais, en pareille circonstance, aurait été bien différent.

« Durant la guerre de la Restauration, le fort Aizu capitula, même le fort Goryokaka, à Hakodate. Les défenseurs, représentant différentes tribus, se battaient contre le drapeau impérial ; ce fut donc à Aizu et à Goryokaka une reddition de sujets Japonais à des Japonais et, partant, une reddition qui ne fut pas spécialement critiquée. Mais si la garnison impériale de Kumamoto s’était rendue à l’armée de Satsuma, à l’époque de la rébellion de celui-ci, même par suite du complet épuisement des vivres, les officiers n’auraient été l’objet d’aucune indulgence. De même, si des officiers Japonais s’étaient rendus aux Chinois durant la guerre de 1894-1895, quelles qu’eussent été les circonstances de la reddition, il est probable que ces officiers n’auraient plus jamais été reçus au Japon.

« Le général Stoessel, comme condition de sa liberté, signa un engagement de ne plus prendre les armes ni d’agir en quoi que ce soit contre les intérêts du Japon, pendant toute la durée de la guerre actuelle. Cette action de la part du général Stoessel semble excessivement étrange aux Japonais. Le tsar, paraît-il, permit à cet officier de rentrer dans son pays, mais dans aucune circonstance semblable, un officier japonais, excepté sur un ordre spécial du Mikado, n’aurait osé en faire autant. Si un officier japonais retournait au Japon durant les hostilités actuelles, après avoir signé un engagement de ne rien faire contre les intérêts de la Russie, aucun habitant ne voudrait avoir de relations avec lui. Si un officier général, de l’importance d’un commandant de corps d’armée, revenait au Japon, laissant un grand nombre de ses hommes et de ses officiers, comme prisonniers, aux mains de l’ennemi, la réception qui lui serait faite dans son pays peut à peine être imaginée : non seulement il serait critiqué, mais…