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Cette histoire se répète souvent comme exemple de la vertu et de la force stoïque des Bushi dans la souffrance. On considérait comme indigne d’un Samurai de trahir, par l’expression de son visage, la douleur ou l’émotion. Il était héroïque de ne laisser paraître ni le plaisir, ni la colère ; même les démonstrations d’affection étaient supprimées en présence d’autres personnes Aussi, le général Nogi fut universellement admiré au Japon, lorsqu’il ne donna aucun signe de tristesse, en apprenant la mort de ses deux fils devant Port-Arthur. La seule allusion qu’il y fît se trouve dans ses poèmes, aujourd’hui célèbres, sur la bataille de Nanshan, et la prise de Signal Hill. La baronne Nogi elle-même a raconté que le général, qui est un père et un époux modèle, ne lui écrivit jamais pendant tout le temps qu’il se trouva devant Port-Arthur, et qu’il ne se permit pas de lui envoyer un seul message pour lui annoncer la mort de leurs deux fils. Cependant, le général Stoessel m’a dit lui-même que, au moment et à l’occasion de la reddition de Port-Arthur, le général Nogi avait fait preuve de la courtoisie la plus raffinée, ne négligeant rien de ce qu’il était en son pouvoir de faire pour épargner la sensibilité d’un ennemi vaincu.

Dans cette circonstance, le général Nogi se conforma strictement aux principes de générosité dictés par le Bushido. Bushi no nasake, « la douceur dans un guerrier » est un de ces principes. Comme Tennyson, un poète Bushi a chanté : « Les plus braves sont les plus doux, les plus affectueux sont les plus hardis. »

Ceux qui se connaissent en art japonais se rappellent la peinture familière d’un prêtre, monté à rebours sur une vache. Selon la tradition japonaise, ce prêtre était jadis un des plus fameux guerriers du Japon. Dans cette grande et décisive bataille de Sumuro-Ura (1184), ce guerrier, choisissant le plus avancé parmi les cavaliers ennemis engagea une lutte corps à corps avec lui et parvint à l’enlever de sa selle. D’après les règles du Bushido, dans ces premiers temps, un chevalier ne pouvait souiller son sabre, dans un combat singulier, du sang d’un ennemi de basse origine. C’est pourquoi le chevalier demanda à son adversaire quel était son nom, et n’obtenant pas de réponse, il lui arracha furieusement son casque à visière. Il fut étonné de voir la figure imberbe d’un jeune homme de seize ans. Le soulevant complètement de terre, il l’assit derrière lui sur sa monture, et lui dit : « Jeune prince, retournez chez votre mère. Votre place n’est pas ici. Le sabre de Kumagaya ne doit pas répandre le sang d’un enfant. » Le jeune homme refusa de s’enfuir, demandant à Kumagaya de le tuer plutôt que de le traiter ainsi. Le chevalier dégaina de nou-