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Paf ! V’li ! V’lan ! Va comme je te pousse ! C’est inouï, effroyable ! J’en aurai un coup de sang bien sûr !

… Les Choux de M. Pisarro l’arrêtèrent au passage, et de rouge il devint écarlate.

— Ce sont des choux, lui dis-je d’une voix doucement persuasive.

— Ah ! les malheureux, sont-ils assez caricaturés !… Je jure de n’en plus manger de ma vie !

Tout à coup il poussa un grand cri en apercevant la Maison du pendu, de M. Paul Cézanne. Les empâtements prodigieux de ce petit bijou achevèrent l’œuvre commencée par le Boulevard des Capucines ; le père Vincent délirait. Sa folie fut assez douce. Se mettant au point de vue des Impressionnistes, il abondait dans leur sens.

— Parlez-moi de Mlle Morisot ! Cette jeune personne ne s’amuse pas à reproduire une foule de détails oiseux. Lorsqu’elle a une main à peindre, elle donne autant de coups de brosse en long qu’il y a de doigts, et l’affaire est faite. Les niais qui cherchent la petite bête dans une main n’entendent rien à l’art impressif, et le grand Manet les chasserait de sa république.

. . . . . . . . . . . . . . . .

Une catastrophe me parut imminente, et il était réservé à M. Monet de lui donner le dernier coup.

— Ah ! le voilà, le voilà ! s’écria-t-il devant le no 98. Je le reconnais le favori de papa Vincent ! Que représente cette toile ? Voyez au livret

— « Impression, Soleil levant. »

Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi : Puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans… Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là !

… En vain je cherchai à ranimer sa raison expirante… Pour flatter sa manie je cherchais ce qu’il y avait de possible dans les tableaux à impression, et je reconnaissais que le pain, le raisin et la chaise du Déjeuner, de M. Monet, étaient de bons morceaux de peinture. Mais il repoussait ces concessions.

— Non, non ! s’écriait-il. Monet faiblit là. Il sacrifie aux faux dieux de Meissonnier. Trop fait, trop fait !… Parlez-moi de la Moderne Olympia, à la bonne heure !

Hélas ! allez la voir, celle-là… Vous vous souvenez de l’Olympia, de M. Manet ? Eh bien, c’était un chef-d’œuvre de dessin, de correction, de fini, comparée à celle de M. Cézanne.

… Pour donner à son esthétique tout le sérieux convenable, le père Vincent se mit à danser la danse du scalp.

— Hugh !… Je suis l’impression qui marche, le Boulevard des Capucines, de Monet, la Maison du pendu et la Moderne Olympia, de M. Cézanne ! Hugh ! Hugh ! Hugh !

Louis Leroy.


Il n’était pas inutile de citer aussi longuement cet article, ne fût-ce que pour bien préciser les origines du mot « impressionniste », appliqué aux représentants de ce qu’on dénomme aussi l’École de 1874. Les premiers historiens de l’Impressionnisme ont dit : « C’est le tableau de Monet, Impression, soleil levant, qui suggéra l’épithète ». Oui, mais ce qu’il faut dire également, c’est que depuis quelques années déjà les peintres de la jeune École se plaisaient à opposer à la composition l’impression, ce dernier mot revenant fréquemment dans leurs propos d’ateliers. C’est pourquoi Louis Leroy, qui avait dû maintes fois l’entendre, l’employait dès le début de son article. Mais jamais un peintre ne s’était avisé de le donner pour titre à un tableau, et c’est ce qui