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la société qu’elle s’intègre. Elle ne pèsera pas bien lourd, certes, cette Police, lorsque la Révolution prolétarienne, déchaînant ses forces immenses, jettera bas tout son édifice, rayera la Police de l’existence. Mais détruire la police sans abolir l’esprit de police, ce serait faire œuvre vaine. L’esprit de police peut subsister parmi les vestiges des classes bourgeoises ; il peut se recréer, empoisonner la société prolétarienne en formation. Dans le premier stade de la transformation de la société, alors que l’État bourgeois survit sans bourgeoisie, rien ne pourrait être plus dangereux que de maintenir la notion sociale de la Police au delà de la victoire militaire du prolétariat sur la bourgeoisie. L’exemple russe est concluant.

Dans la société prolétarienne il n’y a pas de place pour la Police, car les droits de l’homme se seront transformés. Pas de propriété privée, donc pas d’organisme de sûreté, dont le but soit la protection de la liberté de propriété. Quant aux infractions ordinaires aux règles de la vie sociale, elles disparaîtront progressivement ou du moins ne nécessiteront plus l’existence d’une police, lorsque sera disparue l’inégalité, l’exploitation des masses, la misère et les privations de ces masses. L’homme redevenu dans sa vie quotidienne un être social organisant ses forces propres en forces sociales aura réalisé sa propre émancipation. Selon l’expression de Marx, le monde du prolétaire aura été réadapté au prolétaire même.

Marcel Fourrier.


LE POINT DE VUE DU CAPITAINE


Saint-Just n’a qu’à dire – mais il doit dire – « On ne règne pas innocemment », pour emporter le morceau, en l’espèce une tête de roi.

Or, comme un Louis XVI à décapiter n’offre pas tous les jours, au sentiment de justice, l’occasion de s’exprimer sous une forme parfaite et décisive, ceux qui, malgré une évidente bonne volonté, n’arrivent point à oublier les vieilles et haïssables phraséologies, cèdent aux fantômes de ces iniques lieux communs et jurisprudences qu’ils se proposaient de détruire.

Ainsi, l’effroi du verdict implacable n’est pas forcément simple lâcheté, du moins au sens charnel.

Pour un Saint-Just, il y a, hélas ! plusieurs brochettes de Girondins rhéteurs à n’en plus finir et des fricassées de bas bleus (à défaut de cuisses), style Mme Roland.

Avec la poussière des consciences secouées comme des vieux tapis, ce joli monde fera un soleil négatif, pour tacher de gris la pure, la sanglante aurore boréale.

Le crime des prétendus révolutionnaires, qui cèdent au chantage d’une tardive soi-disant humanité, sera de permettre, en voulant sauver quelques individus de la guillotine, les guerres de l’Empire.

Dame, le jeune Bonaparte avait la gale, et, de se gratter, ça lui donnait des idées pour la campagne d’Italie.


Il caracole
Au pont d’Arcole.


À nous l’épopée.

Parce que la Révolution née en France a dû se défendre contre la coalition des monarchies européennes, par un petit tour de passe-passe, simple comme bonjour, il s’agira de parler non plus du sentiment qui anima un pays, mais de ce pays, comme si se trouvaient justifiés, du seul fait de son existence, les plus extravagants de ses délires batailleurs.

Ainsi naquirent le sentiment national, l’envol de la Marseillaise, la gloire d’être français, l’omnipotence des adjudants corses et tout le bataclan.

Or, quant à moi, de la Russie nouvelle, ce qui me touche le plus, ce n’est pas l’affaire Roussakov narrée par M. Istrati, non plus que les scolies en marge de cette histoire de concierge, non, c’est le choix, pour désigner un immense territoire, d’un nom aussi honnête que U. R. S. S.

Si notre douce France, au temps du capitaine Dreyfus, se fût appelée Cunégonde, cette aventure n’eût certes point pris ce ton grandiloquent, si peu d’accord avec le lieu, le temps, les personnages de l’intrigue.

L’honneur de Cunégonde.

Titre digne d’un vaudeville dont un grossier quiproquo militaire ferait les frais sur la scène de quelque Théâtre Cluny.

Le traître Esterhazy deviendrait alors l’aimable roublard, joyeux drille qui tire au cul.

On rirait du petit juif Clodoche, sa victime, qui aurait mieux fait de ne pas contredire aux belles qualités démoralisatrices de sa race.

Mais quoi, on choisit le genre tragique.

Dreyfus dit : « Je suis capitaine, et je jure que j’ai de l’honneur pour trois galons. Je n’aime pas les femmes, mais j’aime ma femme. J’ai de l’argent, un cœur de français. Dès lors, pourquoi trahir ?… »

Eh bien, le généreux Jaurès, au lieu de discuter les preuves, les rapports des experts, Jaurès, au lieu de s’abaisser jusqu’au point de vue du capitaine, n’avait qu’à lui dire : « Monsieur, vous avez choisi un vilain métier, et nous laissons les loups se dévorer entre eux. »

Alors, peut-être, pour une fois un capitaine aurait réfléchi et aurait eu, après la révision de son procès, une autre ambition que de devenir commandant.

Mais la France ne s’appelle pas encore Cunégonde.


René Crevel.