Page:La Révolution surréaliste, n12, 1929.djvu/12

Cette page n’a pas encore été corrigée

SECOND MANIFESTE DU SURRÉALISME

crains pas de dire qu’avant le surréalisme, rien de systématique n’avait été fait dans ce sens, et qu’au point où nous l’avons trouvée, pour nous aussi, «sous sa forme hégélienne la méthode dialectique était inapplicable ». 11 y allait, pour nous aussi, de la nécessité d’en finir avec l’idéalisme proprement dit, la création du mot « surréalisme » seule nous en serait garante, et , pour reprendre l’exemple d’Engels, de la nécessité de ne pas nous en tenir au déve- loppement enfantin : « La rose est une rose. La rose n’est pas une rose. Et pourtant la rose est une rose » mais, qu’on me passe cette parenthèse, d’entraîner « la rose » dans un mouvement profitable de contradictions moins bénignes où elle soit successivement celle qui vient du jardin, celle qui tient une place singu- lière dans un rêve, celle impossible à distraire du « bouquet optique », celle qui peut changer totalement de propriétés en passant dans récriture automatique, celle qui n’a plus que ce que le peintre a bien voulu qu’elle garde de la rose dans un tableau surréaliste et enfin celle, toute différente d’elle-même, qui retourne au jardin. Il y a loin, de là, à une vue idéaliste quelconque et nous ne nous en défendrions même pas si nous pouvions cesser d’être en butte aux attaques du matérialisme primaire, attaques qui émanent à la fois de ceux qui, par bas conservatisme, n’ont aucun désir de tirer au clair les relations de la pensée et de la matière et de ceux qui, par un sectarisme révolutionnaire mal compris, confondent, au mépris de tout ce qui leur est demandé, ce matérialisme avec celui qu’Engels en distingue, essentiellement et qu’il définit avant tout comme une intuition du monde appelée à s’éprouver et à se réaliser : « Au cours du développement de la philosophie, l’idéalisme, devint intenable et fut nié} par le matérialisme moderne. Ce dernier, qui est la négation de la négation, n’est pas la simple restauration de l’ancien matérialisme ; aux fondements durables de celui-ci il ajoute toute la pensée de la philoso- phie et des sciences de la nature au cours d’une, évolution de deux mille ans, et le produit de celle longue histoire elle-même. » Nous entendons bien aussi nous mettre en position de départ telle que pour nous la philosophie soit sur- classée. C’est le sort, je pense, de tous ceux pour qui la réalité n’a pas seulement une impor- tance théorique mais encore est une question de vie ou de mort d’en appeler passionnément, comme l’a voulu Feuerbach, à cette réalité : le nôtre de donner comme nous la donnons, totalement, sans réserves, notre adhésion au principe du matérialisme historique, le sien de jeter à la face du monde intellectuel ébahi l’idée que « l’homme est ce qu’il mange » et qu’une révolution future aurait plus de chances de succès si le peuple recevait une meilleure nourriture, en l’espèce des pois au lieu de pommes de terre. Notre adhésion au principe du matérialisme historique... il n’y a pas moyen de jouer sur ces mots. Que cela ne dépende que de nous — je veux dire pourvu que le communisme ne nous traite pas seulement en bêtes curieuses destinées à exercer dans ses rangs la badau- derie et la défiance, — et nous nous montrerons capables de faire, au point de vue révolu- tionnaire, tout notre devoir. C’est là, mal- heureusement, un engagement qui n’intéresse que nous : je n’ai pu, en ce qui me concerne par exemple, il y a deux ans, passer comme je le voulais, libre et inaperçu, le seuil de cette maison du parti français où tant d’individus non recommandables, policiers et autres, ont pourtant licence de s’ébattre comme dans un moulin. Au cours de trois interrogatoires de plusieurs heures, j’ai dû défendre le surréalisme de l’accusation puérile d’être dans son essence un mouvement politique d’orientation nette- ment anti-communiste et contre-révolution- naire. De procès foncier de mes idées, inutile de dire que de la part de ceux qui me jugeaient, je n’avais pas à en attendre. « Si vous êtes marxiste, braillait vers cette époque Michel Marty à l’adresse de l’un de nous, vous n’avez pas besoin d’être surréaliste. » Surréalistes, ce n’est bien entendu pas nous qui nous étions prévalus de l’être en cette circonstance : cette qualification nous avait précédés malgré nous comme eût aussi bien pu le faire celle de « relativistes » pour des einsteiniens, de « psy- chanalystes » pour des freudiens. Quelle misère ! Comment ne pas s’inquiéter terrible- ment d’un tel affaiblissement du niveau idéologique d’un parti naguère sorti si brillam- ment armé de deux des plus fortes têtes du dix-neuvième siècle ! On ne le sait que trop : le peu que je puis tirer à cet égard de mon expérience personnelle est à la mesure du reste. On me demandait de faire, à la cellule « du gaz » un rapport sur la situation italienne en spécifiant que je n’eusse à m’appuyer que sur des faits statistiques (production de l’acier, etc.) et surtout pas d’idéologie. Je n’ai pas pu. J’accepte, cependant, que par suite, d’une méprise, rien de plus, on m’ait pris dans le parti communiste pour un des intellectuels les plus indésirables. Ma sympathie est, par ailleurs, trop exclusivement acquise à la masse de ceux qui feront la révolution sociale, pour pouvoir se ressentir des effets passagers de celte mésaventure. Ce que je n’accepte pas, c’est que, séduits par des possibilités de mouve- ment particulières, certains intellectuels que je connais, et dont les déterminations morales me paraissent sujettes à caution, ayant essayé sans succès de la poésie, de la philosophie, se rabattent sur l’agitation révolutionnaire, grâce, à la confusion qui y règne parviennent à faire, plus ou moins illusion et, pour se faire bien voir, n’aient rien de plus pressé (pie de renier bruyamment ce qui, comme, le sur- réalisme, leur a donné à penser le plus clair de ce qu’ils pensent mais aussi les astreignait à rendre des comptes et à justifier humaine- ment de leur position. A leur grande satisfac- tion ce contrôle ne peut avoir lieu dans les milieux politiques et libre à eux, dès lors, de