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tend à créer un être, que l’idée de Révolution tend à faire arriver le jour de cette Révolution, faute de quoi ces idées perdraient tout sens ; —rappelons que l’idée de surréalisme,tend simplement à la récupération totale de notre force psychique par un moyen qui n’est autre que la descente vertigineuse en nous, l’illumination systématique des lieux cachés et l’obscurcissement progressif des autres lieux, la promenade perpétuelle en pleine zone interdite et que son activité ne court aucune chance sérieuse de prendre fin tant que l’homme parviendra à distinguer un animal d’une flamme ou d’une pierre—le diable préserve, dis-je, l’idée surréaliste de commencer à aller sans avatars. Il faut absolument que nous fassions comme si nous étions réellement « au monde » pour oser ensuite formuler quelques réserves. N’en déplaise donc à ceux qui se désespèrent de nous voir quitter souvent les hauteurs où ils nous cantonnent, j’entreprendrai de parler ici de l’attitude politique, « artistique », polémique qui peut, à la fin de 1929, être la nôtre et de faire voir, en dehors d’elle, ce que lui opposent au juste quelques comportements individuels choisis aujourd’hui parmi les plus typiques et les plus particuliers.

Je ne sais s’il y a lieu de répondre ici aux objections puériles de ceux qui, supputant les conquêtes possibles du surréalisme dans le domaine poétique où il a commencé par s’exercer, s’inquiètent de lui voir prendre parti dans la querelle sociale et prétendent qu’il a tout à y perdre. C’est incontestablement paresse de leur part ou expression détournée du désir qu’ils ont de nous réduire. « Dans la sphère de la moralité, estimons-nous qu’a dit une fois pour toutes Hegel, dans la sphère de la moralité en tant qu’elle se distingue de la sphère sociale, on n’a qu’une conviction formelle, et si nous faisons mention de la vraie conviction c’est pour en montrer la différence et pour éviter la confusion en laquelle on pourrait tomber en considérant la conviction telle qu’elle est ici, c’est-à-dire la conviction formelle, comme si c’était la conviction véritable, tandis que celle-ci ne se produit d’abord que dans la vie sociale.» (*). Le procès de la suffisance de cette conviction formelle n’est plus à faire et vouloir à tout prix que nous nous en tenions à celle-ci n’est à l’honneur, ni de l’intelligence, ni de la bonne foi de nos contemporains, il n’est pas de système idéologique qui puisse sans effondrement immédiat manquer, depuis Hegel, à pouvoir au vide que laisserait, dans la pensée même, le principe d’une volonté n’agissant que pour son propre compte et toute portée à se réfléchir sur elle-même. Quand j’aurai rappelé que la loyauté, au sens hégélien du mot, ne peut être fonction que de la pénétrabilité de la vie subjective par la vie « substantielle » et que quelles que soient par ailleurs leurs divergences, cette idée n’a pas rencontré d’objection fondamentale de la part d’esprits aussi divers que Feuerbach, finissant par nier la conscience, comme faculté particulière, que Marx, entièrement pris par le besoin de modifier de fond en comble les conditions extérieures de la vie sociale, que Hartmann tirant d’une théorie de l’inconscient à base ultra-pessimiste une affirmation nouvelle et optimiste de notre volonté de vivre, que Freud, insistant de plus en plus sur l’instance, propre, du sur-moi, je pense qu’on ne s’étonnera pas de voir le surréalisme, chemin faisant, s’appliquer à autre chose qu’à la résolution d’un problème psychologique, si intéressant soit-il. C’est au nom de la reconnaissance impérieuse de cette nécessité que j’estime que nous ne pouvons pas éviter de nous poser de la façon la plus brûlante la question du régime social sous lequel nous vivons, je veux dire de l’acceptation ou de la non-acceptation de ce régime. C’est au nom de cette reconnaissance aussi qu’il est mieux que tolérable que j’incrimine, en passant, les transfuges du surréalisme pour qui ce que je soutiens ici est trop difficile ou trop haut. Quoi qu’ils fassent, de quelque cri de fausse joie qu’ils saluent eux-mêmes leur retraite, à quelque déception grossière qu’ils nous vouent - et avec eux tous ceux qui disent qu’un régime en vaut un autre puisque de toute manière l’homme sera vaincu - ils ne me feront pas oublier que ce n’est pas à eux mais, j’espère, à moi, qu’il appartiendra de jouir de cette « ironie » suprême, qui s’applique à tout et aussi aux régimes et qui leur sera refusée parce qu’elle est par delà mais qu’elle suppose, au préalable, tout l’acte volontaire qui consiste à décrire le cycle « de l’hypocrisie, du probabilisme, de la volonté qui veut le bien et de la conviction» (*).

Le surréalisme, s’il entre spécialement dans ses voies d’entreprendre le procès des notions de réalité et d’irréalité, de raison et de déraison, de réflexion et d’impulsion, de savoir et d’ignorance « fatale », d’utilité et d’inutilité, etc., présente avec le matérialisme historique au moins celle analogie de tendance qu’il part de l' « avortement colossal » du système hégélien. Il me paraît impossible qu’on assigne des limites, celles du cadre économique, par exemple, à l’exercice d’une pensée définitivement assouplie à la négation, et à la négation de la négation. Comment, admettre que la méthode dialectique ne puisse s’appliquer valablement qu’à la résolution des problèmes sociaux ? Toute l’ambition du surréalisme est de lui fournir des possibilités d’application nullement concurrentes dans le domaine conscient le plus immédiat. Je ne vois vraiment pas, n’en déplaise à quelques révolutionnaires d’esprit borné, pourquoi nous nous abstiendrions de soulever, pourvu que nous les envisagions sous le même angle que celui sous lequel ils envisagent - et nous aussi - la Révolution : les problèmes de l’amour, du rêve, de la folie, de l’art et de la religion. Or, je ne


(*) HEGEL : Philosophie du Droit.
(*) HEGEL : Phénoménologie de l’Esprit,