Page:La Révolution surréaliste, n09-10, 1927.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
mieux et moins bien

encore pour nous sans limites. Cela a été exprimé dans une phrase selon laquelle le surréalisme « appartient à cette vaste entreprise de récréation de l’univers où Lautréamont et Lénine se sont donnés tout entiers ». Mais pourquoi ce rapprochement ne paraît aucunement arbitraire, c’est ce que nous avons toujours tu, et c’est justement à ce sujet que nous ne voudrions pas attendre plus longtemps.

Précisément un certain sentiment de légitimité morale me paraît présider à ce désir — mais quelle morale ne comporte des soucis qui lui paraissent hautement légitimés ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La psychologie menace de durer, de s’étendre. On nous reparle de romans, de « sociologie », etc… Et, caractère spécifique de la science moderne, les ravages de la psychologie paraissent d’autant plus étendus qu’a été mis en œuvre plus profondément la psychologie des ravages. Sens des catastrophes, abîmes de la monotonie, déception, monotonie des abîmes et catastrophes des sens, explique-t-on tout cela ? Quels seront les regards clairvoyants, quelles seront les erreurs coupables ? Pour parler français, quelles seront les conditions réelles du maintien de notre attitude intolérante, et sommes-nous toujours fondés de la maintenir ? Car si vraiment les étoiles sont d’autant plus brillantes que le jour s’évanouit qui arrêtera la course des fantômes vers elles ? Rien, sans doute.

Désespérons :

Les mensonges sont un rêve masqué. Le sang ne coule réellement que hors des veines. Il faut trouver la vie dans la soustraction qui s’opère méthodiquement et sans rémission entre le plus grand chiffre connu et une démarche quelconque, entre la barque et les vagues, entre toi et moi, etc… Mais n’importe quelle pensée est à la base d’une existence qui ne cesse d’être telle, quelles que soient les réflexions qu’elle entraîne, et cela nous fait désespérer de voir un jour n’importe quelle existence à la base d’une pensée qui se suffirait. Et cependant comment considérer le pouvoir de la pensée hors de l’existence, de toute existence et de n’importe quelle existence ? Cela reste une position fondamentale dans chaque interprétation, au regard de l’esprit vivant : la politique, les expressions imagées ou les figures formelles, et la poésie, par exemple. Quel est le rapport d’un entraînement passionnel, lorsque tout périt, lorsque tout se mesure aux échelles de la perdition, aux figures si vraies, si faciles, enchanteresses et comme insoumises à notre destin — l’autre — des rêves prolongés ? L’escalier tournant, le phare tournant, les tournants de l’histoire, tous ces tournants n’en finissent plus ils sont la spirale du ressort moins la force, ils ne nous procurent même plus l’émotion des toboggans de naguère et ils tournent cependant toujours. Et si la permanence de cette activité, à la limite de nos appétits et de nos hantises est encore maintenue, ce n’est que par la crainte de n’avoir pas su attendre, Notre goût de la liberté lui-même trouve une raison d’être à cette crainte-là, et par dessus cette liberté pressentie, l’espérance de devenir brusquement les véritables tyrans de l’avenir.

Mais ces éclairs fulgurent dans la cendre.

Nous voici devant les lamentations de nos amis et connaissances : c’est l’absence de désirs qui opère son chemin de taupe, et creuse notre fosse. Où sont donc les ressorts de l’activité individuelle, et où sont les mobiles des grands débats collectifs, des impulsions qui gouvernent les époques riches ? Où sont les profonds, les souples, les purs et rigoureux désirs spirituels qui ont mené l’Homme au bord de ce qui fut sa vie et n’est plus que sa tombe — une image ? Sur cette perspective Drieu la Rochelle s’occupe particulièrement à nous fixer avec les moyens d’expression éclatants qui sont les siens et qui donnent à sa pensée ce qu’on peut appeler un creux de relief.

Mais est-ce suffisant de regretter notre chlorose, l’excès de lymphe dans notre sang ? Les corollaires de ce regret sont vraiment ridicules et limités à des angoisses de châtré : il n’y a plus de race, le sport ne joue pas le rôle voulu, les enfants ne naissent pas ou naissent mal, la latinité dégénère, les barbares sont une fois de plus à notre porte, les ouvriers s’abêtissent, etc. Des Esseintes se perpétue.

Cette méthode expérimentale fait défaut en bien des cas, et son principal vice est de rattacher ambitieusement telles particularités physiologiques ou psychologiques individuelles au gigantesque-pessimisme humain, dont les sources, heureusement pour nous, sont bien ailleurs.

… L’absence de désirs, c’est la condition de tous ceux dont les désirs ne s’affirment pas hautement placés, dans l’amour, dans le crime, ou dans les formes les plus aiguës et les plus profondes de la révolution sociale. Ceux-là sont nombreux, ils grouillent, ils pullulent autour d’aspirations mesquines, de vantardises ; leurs désirs sont présents pour toutes les besognes reposantes, pour ces activités infimes que le XXe siècle a multipliées, en donnant l’apparence et les bénéfices du travail à une oisiveté qui s’avère corrompue. Mais le circuit malin se poursuit. L’absence de désirs s’abîme dans une expression de veulerie respectable ou ne s’affirme plus, seul maître, seul dévastateur, seul mirage, seule réalité pour les faux prophètes et les académiciens du farniente, que le désir de l’absence.

Mais de nouveau l’on s’agite autour de nous et l’on demande : « Puisque vous