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PHILOSOPHIE DES PARATONNERRES

reur systématique des pédagogues qu’il dénonce. Comment pourrait-il tirer du feu du devenir les épaves qu’il veut à tout prix sauver ? Les faits de toutes parts le contredisent. Déjà le capitalisme que rien ne sert de déguiser du nom de socialisme ne peut plus être soutenu ni par une dialectique idéaliste, ni par une dialectique matérialiste. Ce phénomène philosophique a son importance : nulle part le capitalisme ne trouve plus de défenseurs, si ce n’est dans le camp des dualistes. Le mot âme caractérise presqu’universellement le langage des champions plus ou moins avoués de la propriété. Le grand reproche qui est fait partout au communisme est de négliger les valeurs intellectuelles. Progressivement les requins se retirent autour de l’îlot de la pensée pure : ils n’ont pas encore dévoré tout à fait les philosophes, les poètes qui se sont, produits malgré eux, il s’agit d’en faire la raison d’être des sociétés par actions, de la politique coloniale, etc. C’est ici que le fantôme de la culture s’est levé sur l’Occident. Voilà l’origine de ce bien précieux, nouvellement inventé pour entraîner le monde dans le jeu de quelques trusts, voilà l’origine de la philosophie spenglérienne. Celle-ci en comparant ces trusts spirituels, les cultures, ne fait que substituer à la méthode historique qui correspondait à l’ancien capitalisme la méthode historique correspondant à l’époque de l’impérialisme mondial. La paille des idéologies de cette espèce, est de ne pouvoir faire de place à l’idée de la Révolution : elles seront balayées. Le déclin de l’Occident concept passager sera aussi celui des cultures. L’abstraction se meurt.

Mais non pas les faiseurs d’abstraction. Je pense avec Spengler qu’il y a grandement lieu de surveiller les auteurs de manuels scolaires. Leur action est plus sournoise que celle des journalistes. Elle a un faux air de dignité. Nous n’en finirions pas à rechercher les traces du Doumic, par exemple, dans la pensée de nos contemporains. Un manuel crée des associations d’idées en série, il met en marche des mécanismes plus nombreux que les Citroëns. Un manuel est ce qui correspond le mieux à une culture, c’est-à-dire à l’opinion moyenne des dirigeants d’un système politique et social. C’est avec le service militaire, le code civil, la religion, un des moyens de crétinisation et de consolidation de l’ordre établi. Aussi si nous examinons un ouvrage anodin comme Les Lettres à Zoé nous remarquons que pas une occasion n’est négligée de discréditer dans ces esprits qu’il s’agit de former pour des destinées historiques toutes les idées dangereuses qui pourraient les retenir. Ainsi Aristote lui-même donne ici son avis sur le communisme. Il « donne de bonnes raisons de son refus d’y adhérer ». Voyez-vous ça, Aristote dans une cellule ! « Le communisme c’est la guerre de tous contre tous, c’est la suppression de la famille ; c’est la disparition de nobles vertus ». Je vous passe Godwin « communiste-anarchiste » que l’enlèvement de sa fille par Shelley a fait réfléchir. Que dire de Cabet qui échappe avec peine à une condamnation pour avoir complètement ruiné de pauvres gens : il était communiste, et les communistes russes ont lire Cabet. Mais, dit Zoé, est-ce que les communistes savent lire ? De toutes façons je vous laisse à penser. Il y a aussi quelqu’un qu’il est étonnant de trouver dans une histoire des philosophies : c’est Sylvain Maréchal. Il est là comme athée, non comme babouviste. On cache à Zoé son rôle de conspirateur. Mais il est vilain d’être athée : « Vous remarquerez, Zoé, combien peu d’hommes d’esprit se sont déclarés athées, même depuis qu’on peut le faire sans inconvénient… L’athéisme et le matérialisme sans nuances — je ne veux pas dire le spinozisme — sont l’un et l’autre des marques de grossièreté assez certaines, dont je compte que vous saurez toujours vous préserver ». Cette petite fille modèle à qui son professeur explique galamment que le malthusisme, c’est la maîtrise de soi… qui consiste, par une sage réserve, à s’abstenir de mettre au monde, trop d’enfants et, qu’en France, il est inutile de prêcher cette doctrine car on l’applique à l’excès, ne lira pas Freud mais saura que la psychanalyse est un métier qui pourrait bien quelque jour attirer l’attention de la police. Par contre elle considérera Rémy de Gourmont comme un philosophe. Seul l’auteur du livre pouvait mettre un terme à un tel sottisier.

On me dira que rien en M. Reinach n’explique l’attention que je lui porte. À vrai dire, c’est que je vois en Zoé le fruit de cette culture occidentale, sous sa forme apollinienne il est vrai, mais non pas en tout différente de son petit camarade faustien élevé selon les méthodes spenglériennes. Les deux aspects de l’Occident sont parfaitement réconciliables en présence de certaines idées qui leur sont inassimilables. Ils ont leur Locarno philosophique. La culture apollinienne ou méditerranéenne a ses théoriciens. Ce n’est pas sans raison que M. Fauconnet rapproche dans une note Spengler et le baron Seillière. Je ne sais s’il faut dire vraiment que Spengler procède de la doctrine seilliérienne de l’impérialisme « Je crois avoir repris, dit le baron, poussé plus avant l’un des aspects de la pensée de Nietzsche sur le temps présent : celui que lui-même a traité d’Apollinien ». Voilà ce qui a échappé à M. Fauconnet, la source commune de Spengler et de Seillière, c’est Nietzsche. Des similitu-